Autochtones - Maria Galina - science fiction - les-carnets-dystopiques.fr
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Autochtones

Autochtones est un roman positivement déroutant écrit par Maria Galina, une écrivaine russe, traduit et publié en janvier 2020 chez Agullo éditions.
Il s’agit d’un livre tout à fait atypique se déroulant dans une obscure bourgade du fin fond de l’Ukraine, où l’on chemine en équilibre entre enquête policière et récit fantastique, entre ésotérisme et psychologie.
Enquête en immersion dans une ville empreinte de mysticisme slave sur fond de musique lyrique et de chanteuses d’Opéra hystériques…

➡️ « Autochtones«  – Maria Galina – 22€

Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic

 

Un extrait de « Autochtones » …

 

« Une bête vit en chacun d’entre nous, y compris en toi et en moi, mon joyeux ami. Nous sommes prompts à sombrer dans la fureur, dès l’instant où quelque chose nous incommode, nous sommes enclins aux représailles à l’encontre de ce qui nous déplaît. Et pas seulement en le tuant, mais en veillant au préalable à ce que notre victime souffre. Il nous suffit de savoir que le meurtre est autorisé et nous tuons jusqu’à en perdre haleine… »

 

 

Présentation de Autochtones

Un teaser pour vous donner envie…

(Si vous souhaitez en savoir le moins possible sur le livre, lisez seulement cette partie)

 

Loin dans l’Est, quelque part dans une ville de l’ancien bloc soviétique reconvertie en attraction pour touristes où l’on fait visiter les tombes des vampires et où l’on expose des serial-killers historiques dans un antique musée de cire, débarque un beau jour un homme, journaliste-historien venu chercher ici des informations sur un obscur groupe artistique des années 1920.

Ce groupe, auto-affublé du nom de « Chevalier de Diamant » aurait créé un Opéra intitulé « La Mort de Pétrone » donc l’unique représentation de 1922 se serait terminée en scène d’hystérie collective.

Notre historien, ayant atterri dans une auberge de jeunesse austère, rencontre et interroge de nombreux habitants et figures de cette ville au sujet de cet Opéra oublié aux partitions introuvables. Étonnamment, nombreux sont les hommes et les femmes qui s’intéressent à lui et à ses recherches, et s’empressent de lui venir en aide.
Mais leur comportements semblent de plus en plus étranges, et certains phénomènes semblent difficiles à expliquer de manière rationnelle.

Entre mysticisme et psychiatrie, fantastique et rationalisme, il n’est pas si simple de ne pas basculer dans le scepticisme ni la crédulité, dans l’illumination ou la folie… Que cachent cette ville et ses habitants ?

Autochtones est un livre exigeant ! Si vous vous lancez dans sa lecture (ce que je vous recommande vivement), ne le faites pas à la légère…
Accrochez-vous à chaque page, l’intrigue et sa compréhension se méritent, mais le jeu en vaut la chandelle, car Maria Galina nous entraîne dans un univers aux énigmes labyrinthiques dont elle seule possède la clé…

« Le mensonge, c’est l’homme. Ses espoirs, ses peurs, ses ambitions. Alors que la vérité, ça n’est rien d’autre que la vérité. »

 

➡️ Acheter et lire « Autochtones » – Maria Galina – 22€

(La suite, sans révéler l’intrigue ni le dénouement, dévoile certaines parties du récit. Pour lire seulement l’analyse vous pouvez vous rendre directement ici )

 

Mensonges historiques et vérités mystiques…

L’histoire en détails 

 

Journaliste et/ou historien, difficile de savoir exactement qui est cet homme qui débarque ici dans cette ville pour mener une enquête historique sur le groupe artistique du Chevalier de Diamant et l’Opéra créé par celui-ci et intitulé La Mort de Petrone.

À peine arrivé et logé à l’auberge de jeunesse du Pionnier, il fait la connaissance de ses deux voisins, deux bikers aux noms provocateurs à la limite du grotesque, aux moeurs pour le moins iconoclastes, et dont il est difficile de savoir s’ils sont bien ou mal intentionnés à son égard.

« – Vampire, annonça le rouquin.
Il faillit sursauter avant de réaliser que le biker venait tout simplement de se présenter. Un aigle des steppes, en d’autres termes, un vampire hargneux comme une guêpe.
Mardouk, déclara le châtain.
– Enchanté. »

L’Opéra en question, créé par des artistes plus ou moins inconnus, n’a été joué en public qu’une seule fois, et s’est soldé par une mystérieuse crise d’hystérie collective ayant terrassé la foule des spectateurs. En tout cas c’est ce qu’on dit, et c’est tout ce que l’on sait. L’affaire étant suffisamment étrange pour susciter l’intérêt de l’enquêteur, il arpente les rues anciennes et les cafés hors d’âge de la petite ville pour y rencontrer une foultitude de personnages loufoques ou inquiétant, dont il est difficile de dire s’ils sont sains d’esprit… Toujours est-il que les croyances anciennes semblent ici bien vivaces, et que les langues se délient parfois, se contredisent souvent…

« On a beau s’appliquer, impossible de parvenir à faire la fête tout seul. On s’afflige dans la solitude, ça oui, mais pour ce qui est de s’éclater, une compagnie est absolument nécessaire. Plus on est de fous et plus on rit. Ça s’explique parce que la gaieté n’est pas un état naturel à l’homme. Il lui faut quelqu’un d’autre, qui soit là pour lui confirmer en somme que oui, on s’amuse bien. À fond, c’est mortel comme on s’amuse. Alors que si tu restes là, seul à seul avec toi-même, regarde : tu peux toujours courir pour trouver de la gaieté… »

Dans cette Ukraine post-soviétique, rien n’est clair. Impossible de savoir qui dit la vérité, qui ment, quelle est la part de mysticisme, quelle est la part de fantastique et quelle est la part d’affabulation, voire de manipulation.

« Le style soviétique revenait à la mode. Alors qu’il fut un temps où – pardon mon Dieu – ces oeuvres étaient considérées comme de sombres merdes. »

Il n’est pas si aisé, en enquêtant aujourd’hui auprès d’archivistes, collectionneurs et autres chanteurs d’Opéra de seconde zone, de vieillards à demi-séniles, de barmaid mièvres et de bikers« sans entraves », de reconstituer un complexe puzzle dont les pièces se sont perdues dans les années 1920.

D’autant que la route est semée d’embûches pour le moins inquiétantes, car ne se trouve t-on pas ici, dans cette Galicie ukrainienne, au piémont de la chaîne des Carpates, au coeur du fief même de ces anciennes créatures démoniaques devenues légendaires…

« C’est un dvoïédouchnik. Pas un schizophrène, un dvoïédouchnik. Pas possible, vous ne savez rien sur les dvoïédouchniks ?! »

Sera t-il possible alors, au milieu de ce fourmillement d’informations à la fois crédibles, farfelues et contradictoires, d’entrevoir la vérité, de démasquer le mensonge et surtout… de ne pas perdre la raison ?!

« Une ville est une créature vivante, qui respire, qui s’agite dans un rêve à demi sensé, elle crée ses propres légendes, elle tire des ombres des ténèbres et les dirige. »

 

Autochtones, illusionnisme vintage

Analyse dystopique

 

« L’art, c’est une lumière phosphorique sur du bois pourri, c’est un incarnat phtisique sur les pomettes d’un mourant, c’est une éclosion convulsive et extatique avant la dislocation définitive. »

Un roman de Maria Galina, c’est du sérieux. Pas question de pratiquer la lecture distraite, exit les easy-readers (sans entraves…). Pour ne pas perdre le fil, un seul maître mot : concentration.

Alors Autochtones, c’est avant tout une plongée dans un univers déroutant. Tant par ses personnages que par leurs discours. L’histoire se déroule de nos jours mais porte sur un évènement qui s’est déroulé il y a un siècle. Or les personnages (les fameux autochtones) d’aujourd’hui nous rappellent ceux d’hier, la ville elle-même ne semble pas avoir changé. On a l’impression à la fois fascinante et désagréable (dans le sens « qui nous titille le cerveau ») de se trouver dans une bulle de temps.

Et Maria Galina en joue, et en fait jouer les personnages, les « acteurs » de l’histoire (au sens propre, puisqu’il s’agit d’un Opéra, or les chanteurs d’Opéra sont aussi comédiens…), histoire d’entretenir la confusion au maximum. Du début à la fin on oscille d’une page à l’autre entre rationalisme et mysticisme, entre scientifique et fantastique. Impossible de savoir comment tout cela va finir, car le lecteur est malmené dans ce labyrinthe dont la conception est habilement ficelée par l’auteur.

« L’avant-garde, c’est l’avant-garde. (…) Alors que le conservatisme, ça, c’est merveilleux. Le conservatisme n’a rien à redouter de l’instantanéité ou de la conjoncture. Aucune trivialité. La trivialité, c’est ce qu’on entend sans arrêt, ce qui est sur toutes les lèvres, alors que dans la tradition, chaque élément est adopté une bonne fois pour toutes. Les détails ont été soigneusement mis au point… »

Autochtones est aussi un objet littéraire, un écrin fascinant recelant des merveilles oubliées ou carrément inconnues de nous autres pauvres occidentaux : on y apprend ce qu’est une léchatchikha, un dvoïédouchnik et un incluznik, et on se remémore le mythe des loups-garous et autres vampires carpatiens, discutant avec un Sylphe esprit de l’air et fuyant une incendiaire salamandre esprit du feu…

Tout ceci sur fond historique, dans cette Ukraine ayant subi les oppressions soviétiques et nazis, ou les pogroms ont laissé plus de cicatrices que de survivants. Ils y ont laissé également la cuisine juive, savoureuse semble t-il si l’on en croit les descriptions nombreuses autant que comiques qui en sont faites, lorsque le « héros », chaque jour, se nourrit de gâteau au yaourt et de soupe de lentilles. L’écriture de Maria Galina est toujours empreinte d’un humour grotesque autant que jubilatoire !

« Les romantiques sont en général des amateurs de pathos, banals et sérieux. Ils prennent l’air important et débitent des lieux communs. »

Ce fameux « héros » justement, on n’en prononce jamais le nom (enfin si, mais soyez attentif, si vous le ratez… con-cen-tré je vous ai dit !), et la narration le désigne toujours par « il », ce qu’il est très important de noter pour ne pas se laisser perdre par les changements de contexte permanents du récit. « Il » est tout enrobé d’une aura de mystère, on ne sait pas vraiment qui « il » est, mais on se doute qu’avant la fin, il y aura des révélations…
D’ailleurs en parlant de narration complexe, il faut noter que les personnages sont très (très) nombreux, que certains sont actuels et d’autres des années 20, et qu’ils ont des noms à consonance slave qu’il n’est pas toujours aisé de mémoriser. Aussi l’éditeur a-t-il eu la judicieuse idée (je suppose que c’est l’éditeur, mais ce n’est pas mentionné) d’inclure en début d’ouvrage une liste des personnages bien pratique pour ne pas s’y perdre, ainsi d’ailleurs que quelques repères historiques. C’était effectivement indispensable, merci bien !

Autochtones fait référence aussi à de nombreux patriarches de la science fiction et du fantastique. H.P. Lovecraft et H.G. Wells notamment (contemporains des années 1920 d’ailleurs…), mais aussi Bradbury. Sans compter une pléthore de références à la littérature et la culture russo/polono/ukrainienne, et là il faut rendre (un grand) hommage à la traductrice Raphaëlle Pache sans qui cet ouvrage serait demeuré incompréhensible pour la plupart d’entre nous.

À travers les allusions aux loups-garous et vampires, aux dvoïédouchnik, Maria Galina nous plonge dans le fantastique. Les Sylphes et les salamandres, les incluznik, nous entrainent dans le domaine du merveilleux. Dans les catacombes, on extrait un pan de la sombre histoire de la guerre de 39. En étudiant les livrets d’Opéra célèbres (ou pas), nous voilà embarqués dans l’histoire de l’Art et l’apprentissage de la Musique des Sphères (théorie mystique mêlant astronomie et musicologie, aussi appelée Harmonie du Cosmos). Et comme la science fiction n’est rien sans les extra-terrestres…

Par son atmosphère mystico-fantastique, autochtones m’a rappelé les romans de « l’ancien temps », ce qui lui confère un aspect que je qualifierai de « vintage ». Le jeune homme la mort et le temps ou encore La maison des damnés de Richard Matheson m’avaient laissé ce type d’impression. Lorsque le héros semble perdre pied avec la réalité, on repense à Les engoulevents de la colline de August Derleth (longtemps attribuée à Lovecraft…) ou la nouvelle Hypnos de Lovecraft (justement…).

« Il ne faut pas courir en rêve, commenta-t-elle avec le plus grand sérieux. En rêve, il faut voler. Moi par exemple, je vole. Mais pas à une altitude très élevée. Simplement quand je croise un fossé ou une flaque, je prends mon élan, je lève les pieds et ho-op… »

Et puis la confusion entre imaginaire et réalité, entretenue jusqu’à la dernière ligne du roman, m’a fait penser à La petite fille qui aimait Tom Gordon de Stephen King.

Autochtones est un roman atypique, un Objet Littéraire Non Identifiable, une curiosité littéraire d’une richesse culturelle incroyable, un ouvrage qui déstabilise le lecteur, tant par l’intrigue que par le mode de narration. Tout concours donc à « perdre » volontairement celui-ci, pour le placer dans une bulle de temps, un univers mystico-fantastique aux accents psychologiques qui, à coup sûr, ne peux laisser quiconque indifférent. C’est toutefois un livre qui se mérite, un livre littéralement mystifiant qui nécessite toute l’attention du lecteur.
Je vous souhaite une bonne lecture !

« Le passé nous attire dans les ténèbres où remuent les monstres.« 

 

Faites-moi part de vos avis en commentaire, si le coeur vous en dit.

 

Autochtones - Maria Galina - Agullo éditions - les-carnets-dystopiques.fr
Autochtones

Auteur : Maria Galina
Editeur : Agullo
Collection : Agullo fiction
Format : 14,1×20
ISBN : 979-1095718697
384 pages
Parution : janvier 2020 (traduction)
Pays : Russie
Titre original : Avtokhtony (2015)
Traduction : Raphaëlle Pache
Chroniqueur : Julien Amic

 

 

 

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Un grand merci à vous ! ?? – Julien Amic

? Je remercie chaleureusement les éditions Agullo qui m’ont gracieusement fourni un exemplaire du livre. 

Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic

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