Pleurons sous la pluie est une nouvelle dystopique de l’autrice anglaise Tanith Lee. Publié en 1987, ce récit vient d’être réédité aux éditions du Passager Clandestin dans la collection dyschroniques, agrémentée de la traditionnelle postface synchronique caractéristique de ladite collection.
Mais qu’est-ce qui se cache derrière ce titre mystérieux ? Pourquoi donc pleurer sous la pluie ? Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil non ? 🎶
« Dans ma petite enfance, reste ce souvenir précis. Un matin, il pleuvait comme jamais. Je devais avoir six ou sept ans. Le nez collé contre la vitre Securit, je tentais de discerner les formes de l’univers interdit. À travers le matériau déformant, les trombes se dissolvaient en un rideau frémissant. Soudain, je vis quelque chose de vraiment extraordinaire. Je poussai un cri. »
Tanith Lee ➠Pleurons sous la pluie », éditions Le Passager Clandestin – 6€
Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic…
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☆Teaser : « Pleurons sous la pluie »
Un teaser pour vous donner envie…
La vie est quotidiennement rythmée par les alertes météo signalant l’imminence des mortelles précipitations, celles qui feront s’abattre sur terre des colonnes d’eau polluée et radioactive, condamnant irrémédiablement à la mort quiconque n’aurait pas eu la prudence de se mettre bien vite à l’abri et en sécurité.
Mais ce monde, ce n’est pas nouveau, est injuste et inéquitable. Les miséreux et le commun des classes dites moyennes semblent au mieux condamnés à survivre dans de sordides appartements aussi autosuffisants que possible, confinés à chaque manifestation d’un ciel o(mb)rageux et colérique. Protégée dans son opulente bulle, l’élite fortunée ignore et méprise le reste de la population, du haut de ses inaccessibles privilèges.
Une mère trouve cependant une solution, semble-t-il, pour que sa fille Greena puisse elle aussi profiter du confort et de la protection des puissants. Depuis longtemps, elle a tout prévu…
☆ Féminisme parabolique…
Chronique analytique…
« Dans le Centre, la télévision n’est pas censurée. J’étais curieuse d’entendre les commentaires de ces gens sur les fuites et tous les problèmes de pollution. Le plus fort, c’est que personne n’y fait jamais allusion. Sous la coupole, ils ne sont pas concernés. »
1987, soit un an après la terrible catastrophe de Tchernobyl, Tanith Lee rédige donc ce texte court, d’une quarantaine de pages, et met en scène un futur où les pluies radioactives sont la norme. C’est en effet à cette époque que le funeste nuage soviétique déversa au fil des vents son matériel radioactivement contaminé sur l’ensemble des terres européennes, et ailleurs… De lui, sans aucun doute, est venue l’inspiration du contexte post-apocalyptisant de Pleurons sous la pluie.
Si le récit est bref, s’il semble presque simpliste lorsqu’on le parcours trop vite, il est d’une effrayante subtilité… En premier lieu, Tanith Lee décrit un monde en proie à une pollution anthropique majeure, qui relève à la fois des pluies radioactives susmentionnées que des pluies acides et d’une atmosphère si polluée que les eaux du ciel, en précipitant au sol leur mélasse mortifère, font presque figure d’aqueux cavaliers de l’apocalypse. Mais Pleurons sous la pluie n’est pas une réflexion sur le désastre écologique, ni même réellement sur la sécession des élites suggérée par la présence de ce domaine luxueux autant que salvateur et réservé à la caste supérieure. Ce n’est pas non plus une dystopie sanitaire, bien que l’espérance de vie semble ici réduite à une vingtaine d’année pour le bas peuple, et 50 voire 60 ans – « cela s’est vu » nous dit Greena- chez les nantis. Non rien de tout cela. Cette pluie, cette terre polluée, ce désastre écologique et social, ce capitalisme outrancier débouchant sur une effroyable inégalité d’accès aux soins, au confort, à la protection face aux éléments, tout ceci n’est qu’un support, un contexte, pour évoquer un autre sujet : celui de la place des femmes dans nos sociétés modernes.
Ainsi peut-on voir Pleurons sous la pluie comme un conte social moderne. Le féminisme allégorique s’incarne, à travers Greena et sa mère, dans cette image d’un bas peuple opprimé confronté à un monde hostile et mortifère. De l’autre côté du miroir, Monsieur Alexander est le représentant pathétique d’un monde capitaliste paternaliste et patriarcal. Tanith Lee, à travers ce récit, dresse le portrait parabolique d’une société moribonde, un monde dur où seuls les hommes d’influence ont un véritable droit de vivre. Un monde fermé élitiste/masculiniste où les femmes, si elles veulent s’en sortir et parvenir elles aussi au sommet de l’échelle sociale, ont plutôt intérêt à être, à l’image de Greena, (très) jeunes et jolies.
Bien sûr, entre 1987 et 2024 les choses ont (un peu) évolué. Mais voici une histoire sidérante, une mise en scène de la condition féminine, dont le fatalisme glaçant laissera peut-être le lecteur/la lectrice songeur, quelque part dans ce monde où le ciel semble définitivement obscurci par les nuages. Où sont les étoiles ? Peut-être dans les yeux de l’ingénue Greena… Je n’en dévoilerai pas plus, je vous laisse le découvrir, car le récit est court. Il ne recèle pas vraiment de surprise dans sa narration, mais vous laissera sans nul doute pensif, lorsque vous l’aurez terminé. Une déstabilisante légèreté de la narration contraste terriblement avec l’effroyable propos.
Avec Pleurons sous la pluie, Tanith Lee nous offre un récit d’un féminisme subtil et discret, sans militantisme ostentatoire, laissant toute sa place à l’empathie du lecteur/trice. Si cette histoire a quelque chose de sidérant, c’est sans nul doute parce qu’elle semble à la fois totalement irréelle et parfaitement crédible. Et si on parvient à y croire, c’est qu’il doit y avoir un peu de vrai dans cette représentation d’un monde où, encore aujourd’hui, être jeune et jolie semble rester un atout majeur dans bien des domaines. Un atout, ou une contrainte…
« Greena, as-tu compris ce qui s’était passé aujourd’hui, avec cet homme ? »
Faites-moi part de vos avis en commentaire, si le coeur vous en dit.
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☆ Caractéristiques du livre
Auteur : Tanith Lee
Editeur : Le Passager Clandestin
Collection : dyschroniques
Format : 11×17
ISBN : 978-2369353942
80 pages
Parution : 2024 (février)
Titre original : Crying in the Rain
Parution originale : 1987
Pays : Angleterre
Traduction : Iawa Tate
Chroniqueur : Julien Amic
🌧️ « Pleurons sous la pluie » – Le Passager Clandestin – 6€
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Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic…
la traductrice du texte « Iawa Tate » m’a replongé de suite dans les traductions de fiction, galaxie, de l’intégrale des nouvelles AC Clarke, et trouvant qu’elle fut probablement compagne de Pierre Giuliani auteur oublié des 80’s,très politisé, auteur du remarquable roman « les frontières d’Oulan Bator » dans la remarquable collection « Dimensions SF »…voilà et la pluie pleure sur mes vitres comme chez toi certainement
Effectivement Jean-Pierre, aujourd’hui le temps est triste, il pleure…