Le Chat bleu - Sébastien Monod - les-carnets-dystopiques.fr
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Le Chat bleu

Le Chat bleu est un roman dystopique écrit par Sébastien Monod et publié en 2020 aux Éditions des Deux Anges.
Présenté par l’auteur lui-même comme une « fausse » dystopie, le récit suit un jeune homme lancé dans une quête de l’autre qui est avant tout une quête de soi, entre la frontière italienne et Marseille. Nous sommes en 2045, et le monde s’est sensiblement déshumanisé.
Enfourchons donc notre moto électrique et arpentons les routes du sud jusque dans les entrailles de l’underground marseillais du milieu de 21e siècle. Fausse dystopie ? Vraiment ?

➡️ « Le Chat bleu«  – Sébastien monod – 16,00€

Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic

 

Un extrait de « Le Chat bleu » …

 

« Le parc accueillait également un espace dédié aux recherches scientifiques. On y découvrait, par exemple, les résultats des expériences transgéniques qui consistaient à implanter un ou plusieurs gènes d’origine humaine dans un organisme animal. Il fut ainsi sidéré devant l’enclos des gorilles qui se tenaient parfaitement debout et marchaient sans l’appui des membres supérieurs. Sidéré, mais surtout horrifié de constater que peu de choses les séparaient désormais de ses semblables. En effet, un des spécimens était dans un fauteuil en train de feuilleter Closer sur une tablette tandis qu’un autre regardait, dubitatif, une vieille émission de Cyril Hanouna […] »

[Note du chroniqueur : c’est le mot « dubitatif » que j’adore dans ce court extrait !]

 

Teaser : « Le Chat bleu »

Un teaser pour vous donner envie…

(Si vous souhaitez en savoir le moins possible sur le livre, lisez seulement cette partie)

 

Élian Mattei travaille dans un cirque italien du côté de Gênes, et appartenant à la famille qui l’a adopté. Il s’est essayé à toutes les disciplines avec plus ou moins de réussite, et c’est en tant qu’acrobate qu’il s’est finalement épanoui, trapéziste dominant le monde de haut plutôt que clown objet volontaire de moqueries préétablies.

« Se couvrir de ridicule ou se compromettre dans des positions grotesques pour faire rire les gens, contre toute attente, cela l’avait déprimé. »

Après avoir grandi vingt années au sein de la famille Ghepardi, il apprend qu’il n’est pas seul au monde. Orphelin oui, sans famille non. Il a un frère, qui se trouverait plus à l’ouest, en France, du côté de Marseille. Sa partenaire sur la piste, qui est aussi sa meilleure amie – et dont les sentiments semblent aller au-delà de la simple amitié – tente de le dissuader lorsqu’il prend la décision de partir à la recherche de ce frère dont il ne sait rien, mis à part qu’il doit sans doute lui ressembler… Il faut dire que le voyage n’est pas sans risque car la Nation Française de 2045 est un état policier où la Garde traque les acitoyens.

« En France, c’est pire qu’en italie, les Utopistes sont non seulement fichés, ils sont aussi traqués. »

Accompagné de Vittore, un passeur qui doit lui servir de guide dans la cité phocéenne, il est contraint de se réfugier dans le monastère de Saorge blotti dans les montagnes des Alpes à la frontière franco-italienne pour échapper aux hommes de la Garde. Il y fait la connaissance de Frère Émeric.

Dans le même temps à Marseille, quelque part dans un cabaret underground, une chanteuse nommée Lou Baker se produit dans une légalité toute relative et sa célébrité est condamnée à rester dissidente. C’est une artiste non homologuée par la Gouvernance… Son fils Neil, perdu dans un monde hyperconnecté où il se sent inutile, tente de donner un sens à son existence et va choisir pour cela une voie dangereuse, faite de mauvaises fréquentations et de mauvaises décisions.

Tous ces destins et quelques autres se croisent, se perdent, s’entraident et se trahissent, se rejoignent et s’accompagnent dans une quête dont ils ignorent eux-mêmes le véritable enjeu… Mais au final, si tous se cherchent les uns les autres, lesquels finiront par se trouver ? Et lesquels finiront par se perdre ?

« Quoi de mieux qu’une maison de Dieu pour faire face à ses démons ? »

 

➡️ « Le Chat bleu«  – Sébastien monod – 16,00€

(La suite, sans révéler l’intrigue ni le dénouement, dévoile certaines parties du récit. Pour lire seulement l’analyse vous pouvez vous rendre directement ici )

 

Quête de l’autre, quête de soi…

L’histoire en profondeur, mais sans tout dévoiler

 

C’est à moto que Vittore emmène Élian de l’autre côté de la frontière. Les deux hommes sont contraints d’emprunter la route des montagnes car la ville de Menton, sur la côte, n’est pas des plus accueillantes pour les gens comme eux. La Garde française, une milice privée à la solde du gouvernement, aurait tôt fait de les arrêter et de leur offrir un CDI, un Conditionnement à Durée Indéterminée, la prison à vie. C’est ainsi, le monde s’est déshumanisé, il est devenu fou et absurde, et les gardiens de la paix sont devenus des machines à maintenir l’ordre.

« Ces êtres si durs, si résistants à la douleur, ce n’étaient pas des hommes. »

Le monastère de Saorge leur offre une hospitalité toute relative, empreinte de méfiance de la part de certains, et notamment de Frère Émeric, jeune moine iconoclaste qui oscille entre charité et défiance à l’égard des étrangers errants qui voyagent en moto électrique en prétendant faire du tourisme…

Et puis les deux hommes prennent finalement la direction de Marseille. Ils s’y perdent dans les rues sombres et sales ou la nuit on peut faire des rencontres parfois fatales. La violence fait irruption dans leur vie, celle des hommes sauvages aux pulsions violentes. Cette même violence qui alimente les circuits neuro-informatiques des e-humans de la Garde lorsqu’ils font irruption au monastère et y commettent un véritable carnage.

« Suite à de nombreuses agressions de personnes agées, la plupart en soirée ou dans la nuit à leur domicile, et après l’explosion du grand banditisme dans les grosses métropoles, le Pouvoir central avait écouté la Communauté d’Internautes qui préconisait un renforcement du dispositif androïde policier et la généralisation des caméras de surveillance ainsi que la limitation des allées et venus après une heure du matin. »

Élian cherche son frère sans réelle méthode, avec un espoir fou. À ses côtés Vittore semble vouloir l’aider et le protéger, et des liens forts se tissent progressivement entre eux. Frère Émeric qui a échappé à l’irruption de la Garde se rend à Marseille, lui aussi en quête de réponses, à la poursuite de ces deux compères mystérieux qui ont provoqué sans le vouloir un drame qui a détruit la paisible communauté monastique de Saorge.

La nuit, une étoile vintage brille dans ce monde désenchanté. Une étoile chantante qui luit et fait scintiller les mélodies d’autrefois. Elle s’appelle Lou Baker. Si elle semble avoir tant bien que mal trouvé sa place, son fils Neil a du mal à trouver sa voie. Il est dépendant de sa mère dans un univers qui ne lui offre pas d’opportunité de gagner sa vie.

« Les e-humans étaient, selon lui – mais il n’était pas le seul à le penser -, la cause du chômage de masse qui frappait le monde depuis une dizaine d’années. »

Neil dont les amis sont des relations toxiques. Neil qui trouvera un moyen sans doute de gagner suffisamment d’argent rapidement, en sacrifiant une partie de lui-même au profit d’un marché noir ignoble : celui des organes humains. Il hésite cependant, incertain de son courage et de sa motivation, conscient des risques et de ce que pourrait en penser sa mère, celle-là même pour laquelle il souhaite avec tant de force ne plus être un poids.

Mais dans un monde violent et répressif, où les libertés ne sont tolérées que dans l’ombre, il subsiste des âmes pures et des volontés farouches de vivre. Pour soi ou pour les autres. Exister.

Et « le Chat bleu » serra ce point commun qui liera à tout jamais les destins de toutes ces âmes en peine.

« L’indépendance. La liberté. Enfin ! » 

 

Allégorie proto-dystopique…

« Le Chat bleu » décortiqué

 

« […]il fallait […] poursuivre la purge dans les entreprises et continuer à embaucher des androïdes : ils se révélaient vingt fois plus efficaces que les humains, une récente étude l’avait démontré! »

Le Chat bleu fait partie de ces livres qui sont difficiles à étiqueter (tant mieux !). Il ne rentre pas dans les cases. L’intrigue prend place dans un futur proche, en 2045, dans une France devenue société de surveillance sous couvre-feu permanent, où la répression a été privatisée et la police déléguée à des milices déshumanisées. Au sens propre d’ailleurs, puisque les fonctionnaires de Police ont été remplacés par des androïdes bien plus efficients. Remplacés ? Peut-être devrais-je dire qu’ils sont devenus des machines à faire respecter l’ordre. C’est une différence peut-être subtile mais j’y reviendrai plus loin.
Ainsi donc, le monde a changé, et pas de manière uniforme : il semble bien que la France ait suivi la voie la plus autoritaire.

Le paradoxe, c’est qu’il s’agit d’une « démocratie autoritaire » d’une certaine manière. L’autorité du Parlement n’est plus, remplacée par celle des « Communautés d’Internautes« . Autrement dit, les influenceurs et leurs cohortes de suiveurs dictent leurs volontés au pouvoir…

« Il serait obligé de contacter les médias et les Communautés d’Internautes. Ces dernières avaient progressivement pris le pouvoir, rendant quasiment inutiles l’Assemblée nationale et le Sénat. Car c’étaient elles, dorénavant, qui instiguaient les lois au moyen de pétitions. »

Évidement c’est une volonté de pacotille, soumise au génie manipulatoire de politiciens qui ont réussi à atteindre leur but, celui que les « complotistes » actuels suspectent depuis des lustres.
[Ne voyez rien de péjoratif dans le terme complotiste, c’est juste ainsi que l’on nomme aujourd’hui ceux qui suspectent, avec plus ou moins de discernement il est vrai, un usage des techniques de manipulation des masses par le(s) pouvoir(s) en place.]

« […]les hommes et les femmes de ce milieu de XXIe siècle ne se rendaient plus compte qu’ils ne s’intéressaient qu’à des futilités. Ils étaient manipulés par la Gouvernance qui ne souhaitait qu’une chose : que chacun reste chez soi et ne réfléchisse pas trop. »

On se retrouve donc dans un monde qui a échoué. La démocratie a échoué. L’écologie aussi, et si c’est sur une moto électrique qu’on se déplace avec Vittore et Élian, on ne se fait guère d’illusion sur la réalité de la « 6ème extinction de masse ».

« Toutes les espèces étaient protégées, mais il n’y avait guère d’espoir : cette bestiole, comme tant d’autres, aurait disparu de la surface du globe d’ici moins de dix ans. »

Le roman se pose définitivement dans un cadre dystopique lorsque le lien est fait entre la société de 2045 et celle de la France des ronds points actuelle :

« […] la suppression de tous les postes de fonctionnaires au profit de services privatisés […] avait poussé le pays au bord du chaos et […] rappelait, en termes de force et de longévité, la crise des Gilets jaunes. Fort heureusement, grâce à deux évènements inopinément combinés, la mise en vente d’un nouveau modèle d’iPhone et l’ouverture de la Coupe du monde de football avec match France-Portugal, les tensions avaient cessé quasi instantanément. »

Alors pourquoi l’auteur lui-même indique t-il sur son site « il était hors de question pour moi de faire une dystopie » ? Certes le terme est court puisque le récit se déroule d’ici une vingtaine d’année. On pourrait peut-être parler de « proto-dystopie », une dystopie en cours de formation mais pas tout à fait aboutie, trop actuelle et pas assez futuriste ? Pourquoi pas, mais je pense que c’est sans doute parce que le coeur du roman n’est pas tant dans la description de cette société dysfonctionnelle que dans celle de la psychologie tourmentée des personnages. Car il s’agit là avant tout d’une quête, à laquelle tous sont confrontés, une quête identitaire, une recherche de soi, une volonté de complétude, d’accomplissement de soi.
Et la proto-dystopie se fait conte allégorique.
L’homme hyperconnecté perd toute empathie, se déconnecte paradoxalement (ou pas ?) de ses semblables, perd son humanité. Les policiers androïdes ne sont rien de plus qu’une allégorie des forces de l’ordre ayant basculé vers une violence légitime et assumée. Fausse dystopie est-il indiqué en 4ème de couverture… vraiment ?
Dans ce monde d’une grande violence, les âmes innocentes que sont les différents personnages se trouvent confrontés à la réalité d’une société dure et agressive. La déshumanisation devient désincarnation lorsqu’est abordé le marché noir des organes humains, où les citoyens rendus inutiles par une société d’ouvriers-machines robotisés en viennent parfois à gagner leur vie en se vendant eux-mêmes en pièces détachées… qui seront utilisées pour la confection d’androïdes ! La distinction entre homme et machine, psychologiquement parlant autant que physiquement, devient difficile voire impossible. L’homme marchandise devient une chose, rien de plus. Et l’inévitable se produit.

« Des élevages d’hommes avaient vu le jour, et nombre d’entre eux avaient pu être démantelés. »

Attention, pour autant ce n’est pas le sujet du roman, et c’est en cela que Sébastien Monod se défend d’avoir voulu écrire une oeuvre de science fiction. Et il s’agit bien de l’histoire d’Élian Mattei, à la recherche de son frère, allégorie de son moi incomplet. Chercher l’autre pour se trouver soi-même.

Je n’en dirai pas beaucoup plus, mais simplement ceci : l’histoire semble cousue de fil blanc, et on voit assez rapidement où veut nous emmener l’auteur, même si on ne sait pas exactement comment. Cependant, je me suis fait avoir « comme un bleu » en fin de roman, avec un évènement dont la soudaine violence m’a emplit d’un effroi que seul un David Vann avait su créer chez moi jusqu’ici. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris le principe allégorique du roman. C’est la clé, et disons simplement que ce qui se passe dans le « vrai monde » du roman se passe simultanément dans l’esprit d’Élian. La fin n’est pas si simpliste qu’on pourrait le croire, et l’histoire bien plus subtile qu’une simple quête fraternelle !

C’est un beau roman, c’est une belle histoire, c’est une romance d’aujourd’hui… dans le midi. Voilà qui plairait sans doute à Michel Fugain… Mais je m’égare !

« Le Chat bleu » est un conte, une réflexion sur la quête d’identité de quelques hommes et femmes dans un monde déshumanisé. La société dystopique sert de cadre et l’auteur n’en tente aucune analyse, juste un constat parfois effrayant et diablement évocateur de certains aspects très actuels. Je comprends mieux le terme de fausse dystopie car il s’agit en réalité d’une dystopie qui cache un conte d’une humanité absolue, ni actuelle ni futuriste : intemporelle. Une dystopie est avant tout une critique de la société du « présent ». Le Chat bleu est une réflexion sur l’identité, le désir d’accomplissement et la capacité de résilience d’un homme dans un monde actuel aux airs de futur désenchanté.

« Sur le fil qui lui ferait face, il serait bien obligé d’avancer »

 

Faites-moi part de vos avis en commentaire, si le coeur vous en dit.

 

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Le Chat bleu

Auteur : Sébastien Monod
Editeur : Éditions des Deux Anges
Format : 14×22
ISBN : 978-2956036258
258 pages
Parution : 2020
Pays : France

Chroniqueur : Julien Amic

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Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic

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