Dans la maison au coeur de la forêt profonde est un livre étrange et ensorcelant écrit par l’auteur américain Laird Hunt en 2018 et publié en version française en mars 2022 chez Actes Sud.
C’est un ouvrage saisissant qui relève d’un genre assez peu commun au sein des littératures imaginaires : le conte. Mais c’est un conte pour les adultes que nous sommes tous devenu, qui semble se situer hors du temps et de l’espace, tour à tour onirique et cauchemardesque. C’est l’histoire d’une femme qui s’enfuit, et qui découvrira peut-être ce qui se cache dans la maison au coeur de la forêt profonde…
Entrez dans les bois… si vous l’osez !
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Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic…
Un extrait de « Dans la maison au coeur de la forêt profonde » …
« En voilà un joli cri, dit Eliza. Moi je crie comme ça. » Elle émit un son aigu qui me fit penser d’abord à un renard, puis à un faucon. Ensuite, plaquant le dos de ses mains contre la taille de sa jupe, elle ajouta : « En fait non, je crois que ça ressemble plutôt à ça. » Cette fois, le son sembla venir de l’arrière de sa gorge, ou de la racine de sa langue, et il était à la fois plus fort et plus profond, telle une étoffe épaisse que l’on déchire entre ses dents.
Teaser : « Dans la maison au coeur de la forêt profonde »
Un teaser pour vous donner envie…
(Si vous souhaitez en savoir le moins possible sur le livre, lisez seulement cette partie)
C’est une journée comme une autre dans une forêt du nouveau monde, et une jeune femme marche dans les bois car elle est partie cueillir des baies pour son homme et son fils. Mais dans cette forêt qui s’obscurcit peu à peu, elle s’égare et suis les sentiers flous qui mènent on ne sait où. C’est ici que vivent les premiers peuples, c’est aussi ici que vivent les loups, les corbeaux et les essaims d’abeilles tueuses.
Cette jeune femme on la nomme Goody, mais ce n’est pas ainsi qu’elle s’appelle. Dans le labyrinthe entre les troncs d’arbres et les roches couvertes de mousses, elle s’égare et écorche ses pieds, lacérés de grandes entailles alors qu’elle s’épuise à chercher son chemin. Elle croise alors la fière Capitaine Jane, vêtue d’une peau de loup, qui la conduit chez l’hospitalière Eliza. Voilà une dame d’age mûr, et qui vit dans un maison au coeur de la forêt profonde. Elle va la soigner et l’aider à retrouver le chemin de son foyer. Enfin… peut-être pas.
Goody s’est-elle perdue, ou s’est-elle enfuie ? Est-elle vraiment partie cueillir des baies ? Elle s’est peut-être enfoncée entre les arbres pour échapper à « son homme ».
Tout autour, le réel semble de moins en moins tangible, et Goody se demande si tout ceci n’est pas un rêve. Cette forêt dense est aussi sombre que les fantômes ancestraux qui hantent l’esprit de la jeune femme perdue. Ceux qui hantent aussi chacun d’entre nous.
Est-il bien sage, Goody, de se lier d’amitié avec celle vit dans l’antique bâtisse au coeur des bois ? Dans la maison au coeur de la forêt profonde ?
« Tu m’as donné un cri. Cultivé tout spécialement en eaux sombres, nourri de mots, saupoudré de nuit. »
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(La suite, sans révéler l’intrigue ni le dénouement, dévoile certaines parties du récit. Pour lire seulement l’analyse vous pouvez vous rendre directement ici )
Dans les bois ? Qu’y a t-il dans les bois ?
L’histoire en profondeur, mais sans tout dévoiler
C’est une forêt qui ressemble aux boisements qui couvraient la Nouvelle-Angleterre puritaine de l’Amérique d’autrefois. Goody semble aux prises avec ses souvenirs, ceux de sa vie d’avant, lorsque tout était plus simple. Mais quelque chose est arrivé il y a longtemps, et cela hante son esprit. Elle se perd dans la forêt comme elle s’égare dans les tourments de sa mémoire.
« C’était une bonne vieille forêt d’érables rouges et négondo, de charmes et de bouleaux flexibles. La strate basse se composait d’aulnes glutineux et de sumacs vinaigriers dont les doigts fins et feuillus ondulaient sous l’effet de la brise. »
C’est alors qu’elle croise la silhouette d’un homme, sans doute un membre des « premiers peuples », apparition fugace et première trace d’humanité dans la touffeur de ce monde sauvage. Puis, se perdant au fil des sentes qui sinuent deci delà elle s’épuise et se blesse alors que la nuit vient. Capitaine Jane croise sa route et l’emmène auprès d’Eliza, qui l’accueille dans sa vieille maison toute simple. Eliza sait tracer les mots avec une plume, elle connait le monde et elle maîtrise la science des plantes qui soignent.
Mais elles ne sont pas seules dans ces bois, car il y a aussi la vieille Mamie Machin, et celui que l’on nomme Red Boy, à qui l’on appartient tous, aujourd’hui ou demain. Sauf Capitaine Jane peut-être.
Il s’agit à présent pour Goody de retrouver le chemin du foyer, mais ce n’est pas si simple car quelque chose semble la retenir dans les profondeurs de la forêt. Est-ce Eliza qui l’ensorcèle, ou peut-être la mystérieuse et un peu effrayante Mamie Machin ? Peut-être après tout que Goody ne veut pas vraiment rentrer retrouver son homme, ni son tout jeune fils à qui elle doit pourtant manquer.
À moins que tout ceci ne soit le fait de ce Red Boy, celui dont on parle mais que l’on ne voit pas, celui à qui l’on appartient jusqu’à ce que l’on s’échappe.
S’échapper ? Dieu seul sait comment cela est possible. Dieu et Capitaine Jane. Et qui d’autre encore ?
« – À quoi ressemble t-il ?
– Quel est ton pire cauchemar ? »
Les contes ce n’est vraiment pas pour les enfants, si ?
« Dans la maison au coeur de la forêt profonde » décortiqué
« Il était une fois une femme qui rentra et ne rentra pas des bois. Ce fut en effet une longue route épuisante avant que nous vissions de nouveau nos montagnes. »
Il est difficile de résumer un livre comme celui-ci et, entre nous, j’ai fait de mon mieux dans les quelques lignes des paragraphes précédents mais ce n’était pas simple ! Car on est ici dans un conte écrit pour un public adulte. Il ne s’agit cependant pas à proprement parler d’un conte de fées, plutôt d’un conte de sorcières… Il a d’ailleurs été comparé par d’autres que moi à un conte des Frères Grimm, ce qui est probablement dû à ce que ceux-ci ont toujours eu tendance à immiscer un petit je-ne-sais-quoi d’horrible dans leurs manière de rapporter des contes populaires tels que Hansel et Grethel. Pour mémoire, celui-ci est l’histoire d’un petit garçon (Hansel) et d’une petite fille (Grethel) qui sont kidnappés par une vieille femme au fond des bois. Celle-ci, étant anthropophage, a la ferme intention de les déguster grillés au barbecue mais, par bonheur, Grethel pousse la vieille sorcière dans le four et celle-ci est donc brûlée vive. Ouf quel soulagement, et quelle happy-end ! Faites de beaux rêves les enfants !
Alors oui, on est bien dans un conte horrifique. Car si tout démarre plutôt bien avec une histoire de cueillette de fraises des bois au bord de la rivière, on sent assez vite s’abattre sur nous la pesante noirceur d’un récit qui s’enfonce dans la moiteur aigre d’une forêt primaire hantée par tout ce que l’on peut imaginer de plus effroyable.
L’histoire est très simple : une jeune fille se perd dans les bois et tente de retrouver son chemin. Du Petit Poucet à Blanche-neige, et passant par Le petit chaperon rouge ou, plus récemment, l’excellent « La petite fille qui aimait Tom Gordon », on a déjà vu çà une fois ou deux… Sauf qu’ici le récit est d’une tout autre complexité. Laird Hunt nous distille des bribes d’informations, des éclairages succints sur le passé de Goody, nous laisse à peine entrevoir des fragments d’explications. Lorsque le réel paraît, il est aussitôt eclipsé par l’onirique et le cauchemardesque. On se perd dans le récit comme un enfant au coeur d’une forêt profonde. Et on le fait avec délectation. En ce qui me concerne, je l’ai fait avec fascination…
Dans la maison au coeur de la forêt profonde, c’est une mise en récit d’un rêve, mais pas n’importe lequel : un de ceux que l’on appelle les « grands rêves », un de ceux qui nous laissent un sentiment puissant lorsque l’on se réveille, et qui nous laissent songeur (oui, c’est le cas de le dire, je sais) durant de longues minutes. Vous savez, ces rêves que vous avez fait il y a de nombreuses années, mais dont vous vous souvenez encore. Vous êtes même capables de vous remémorer cette sensation qu’ils ont généré en vous, n’est-ce pas ? C’est ce que cherche à faire ressentir le livre de Laird Hunt, et de mon point de vue, c’est réussi.
« Le venin porté par mes mots résonna à travers la cour. Car quand ils les entendirent, les cochons hurlèrent et se mirent à courir en rond ou le long des parois de l’enclos en se mordant sauvagement les uns les autres. »
L’auteur place son histoire dans un monde qui prend ses libertés avec le temps et l’espace, mais il semble que Goody évolue dans les forêts de la Nouvelle-Angleterre et dans le courant du 17ème siècle. C’est à cette époque qu’un mouvement religieux appelé puritanisme pris son essor, notamment dans cette partie du monde. Les puritains, rappelons-le, croyaient fermement en la réalité des possessions démoniaques et étaient, à ce titre, fervents amateurs d’exorcismes et de chasse aux sorcières…
De là à penser que toutes ces femmes qui vivent dans les bois vêtues de peaux de bêtes, guérisseuses utilisant les plantes alentour, cultivées et érudites (elles savent écrire !), et qui se terrent dans des « maisons au coeur de la forêt profonde » sont des sorcières… Il n’y a qu’un pas !
« Drôle de chose qu’une histoire, et même quand c’est la vôtre et que vous avez une plume à la main, il faut faire attention où vous la posez. »
Laird Hunt nous parle donc de l’un des aspects de cette Amérique des premiers colonisateurs, portion de l’histoire qui nous est quasi-totalement inconnue, à nous autres français dont la culture historique se limite souvent à ce qu’on a bien voulu nous enseigner à l’école. Ce livre fait d’ailleurs partie d’une tétralogie (d’ouvrages indépendants) nommée Dark America Quartet et où l’auteur évoque quelques grands « carrefours de l’histoire » américaine. Il nous en parle ici d’une manière tout à fait inédite et originale en utilisant ce format du conte fantastico-onirique.
Car une forêt qu’est-ce que c’est ? « Une grande étendue de terrain couverte d’arbres » nous dit le dictionnaire… Oui certes, nous ça n’était pas de çà dont je voulais parler que diable ! Une forêt, si l’on en croit la psychanalyse de Carl Jung, symbolise l’inconscient. C’est un lieu de troncs entremêlés ou s’enchevêtrent des éléments de notre passé, et de lointains souvenirs sont enfouis dans les profondeurs de ces bois insondables. Goody affronte son propre passé au fil de ses pérégrinations. On y croise des personnages immondes (son horrible mère), ou plus affables mais un brin couards (son père), on y croise les démons qui la hantent et qui sont ici autant de personnages inquiétants que l’on a aucune envie de croiser dans la rue, encore moins au détour d’un chemin, la nuit, dans une forêt inconnue !!!
Ce passé qu’elle semble avoir fui ne se révèle à nous que par de brèves images. C’est peut-être aussi le passé de toute l’Amérique puritaine qui se dévoile. Cet ancien temps ténébreux qui nous remplit d’effroi, c’est aussi le nôtre, celui de notre histoire, en tous cas celui de l’histoire du peuple américain qui colonisa jadis la Nouvelle-Angleterre.
Dans une présentation de son roman en vidéo (disponible ici), c’est d’ailleurs ce que semble suggérer Laird Hunt. La forêt profonde, c’est ce lieu ou se terrent notre histoire refoulée et nos souvenirs enfouis.
Enfin, je voudrais terminer avec l’élément le plus mystérieux. Je n’en dirai rien si ce n’est qu’il est la clé de l’histoire… il s’agit de Red Boy. Il est l’horrible réalité tapie dans l’ombre, il hante le labyrinthe de nos pensées, et notre esprit lui appartient. Comment prend-il possession de nous, et comment lui échapper, çà… c’est toute l’histoire qu’il vous faut découvrir !
Dans la maison au coeur de la forêt profonde est une histoire peu commune. Plus qu’une histoire, c’est une atmosphère, c’est un ressenti, une immersion au plus profond de l’âme d’une jeune femme qui fuit ses démons et combat ceux des autres. C’est une histoire circulaire, qui n’a peut-être pas de fin, c’est un récit fou, un rêve vacillant qui bascule à chaque instant vers le cauchemar. Et pourtant, on n’a aucune envie de se réveiller, on veut savoir. Laird Hunt nous offre un récit fascinant qui nous permet de retrouver l’espace d’une lecture ce sentiment que nous ressentions jadis, lorsque nous étions petits enfants : l’effroi.
« Assurément, je dois rêver, me dis-je. Donc qu’est-ce que ça peut faire ? Il me marquera à sa guise, ce rêve, que je le veuille ou non. »
Faites-moi part de vos avis en commentaire, si le coeur vous en dit.
Auteur : Laird Hunt
Editeur : Actes Sud
Format : 11,6×21,6
ISBN : 978-2330155414
224 pages
Parution : 2022 (mars)
Pays : États-Unis
Titre original : In the House in the Dark of the Woods (2018)
Traduction : Anne-Laure Tissut
Chroniqueur : Julien Amic
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