Quitter les monts d’automne est un roman de science fiction d’une grande poésie écrit par Émilie Querbalec, et publié en septembre 2020 chez Albin Michel Imaginaire.
Récit faisant preuve d’une très belle écriture, il s’agit d’une sorte d’anti-thèse du space opera, où l’urgence de l’action et le conflit armé cèdent la place à la lenteur contemplative et à la réflexion poétique.
Plongez une héroïne ingénue dans la violence d’un univers amnésique, où la candeur d’une jeune femme n’a d’égale que la vilenie des pulsions humaines et tenez-vous prêt pour un voyage inattendu !
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Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic…
Un extrait de « Quitter les monts d’automne » …
« Où étaient passés les grands voiliers rêveurs aux ailes de lumière ? Sous mes yeux se prélassaient des coques oblongues en forme de grain de riz, ou de frêles esquifs ornés de membranes translucides, repliées comme celles d’une papilule au repos. De curieux ballons, évoquant des amas d’oeufs de poisson, alourdissaient leurs lignes délicates. Il y avait aussi des nefs dix ou vingt fois plus massives, qui me firent penser à d’énormes cétacés dotés d’antennes et de nageoires. »
Présentation de « Quitter les monts d’automne »
Un teaser pour vous donner envie…
(Si vous souhaitez en savoir le moins possible sur le livre, lisez seulement cette partie)
Il était une fois une jeune fille nommée Kaori, et qui vivait sur la planète Tasai avec sa grand-mère parmi une troupe de spectacle itinérante. Tasai est une planète à la technologie moyenâgeuse, peuplée d’hommes et de femmes dont le mode de vie évoquerait pour nous le japon de l’ancien temps. Et sur cette planète, au sein des « monts d’Automne« , se produit un ensemble d’artistes unis autour de leur « conteuse du Dit ». Car c’est bien là ce qui régit la culture de ces peuples, une transmission orale du savoir. L’écriture est interdite, et les terribles moines Talanké y veillent avec une ferveur violente. Le Flux vénéré est tout, et ses gardiens sont impitoyables.
« (…) tel était l’environnement dans lequel j’avais grandi : un monde pré-technologique, où le Flux, seul détenteur du Verbe et du Savoir, nous condamnait à la pensée magique en lieu et place de science. »
Il y a bien peu de conteurs et de conteuses, et personne ne choisit de le devenir car c’est dans les toutes premières années de la vie que se manifeste le Ravissement, cette révélation mystique et incontrôlée ou le Dit prend en quelque sorte le contrôle de l’esprit du conteur.
Ce Ravissement se transmet de manière héréditaire… ou pas. Pour Kaori, il n’est jamais arrivé. Alors elle ne sera pas conteuse mais danseuse, et elle accompagnera plus tard sa grand mère sur scène, lors des prestigieuses représentations qui sont données de manière itinérante dans les monts d’automne.
« Le Ravissement ? Ce n’est pas si beau que tu te l’imagines. C’est même une sensation affreuse que d’être possédée par le Flux. C’est comme si quelqu’un d’autre s’exprimait à travers ta bouche, en l’empruntant sans ta permission… »
Un tragique évènement laisse pourtant à Kaori l’opportunité de faire un choix : quitter les monts d’automne. Partir, ce sera pour elle peut-être la possibilité de comprendre qui elle est, qui étaient ses parents qu’elle n’a pas eu le temps de connaître, et la voilà en route pour la mythique ville de Pavané.
Mais quand on part à l’aventure, lorsqu’on embarque dans un voyage vers l’inconnu, on ne sait jamais vraiment jusqu’où il peut nous mener… Bien plus loin semble t-il que tout ce que Kaori aurait pu envisager en tous cas, car la réalité du monde dans lequel elle vit va s’avérer d’une vertigineuse complexité…
« Poser trop de questions ne te mènera nulle part. »
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(La suite, sans révéler l’intrigue ni le dénouement, dévoile certaines parties du récit. Pour lire seulement l’analyse vous pouvez vous rendre directement ici )
Se laisser porter par le Flux, ainsi soit-il…
L’histoire en détails
Ils sont magnifiques ces monts d’automne, et ils sont toute la vie de Kaori. C’est en tous les cas ici qu’elle finit de grandir, car elle est encore jeune. Ne pas avoir connu ses parents, ne pas s’en souvenir car on était trop jeune quand ils sont morts, c’est quelque chose qui vous marque pour toute votre existence. Et la grand-mère de Kaori, si elle est aimante et toujours attentive au bien-être de sa toute petite fille, n’en demeure pas moins évasive, imprécise, vague et floue lorsqu’il s’agit de parler d’eux, de la manière dont ils sont « partis ».
Le passé de Kaori est aussi brumeux que les monts d’automne au petit matin.
« Les branches basses des sapins me fouettaient la joue au passage, là où autrefois, je me faufilais sans être gênée. Totalement livré à la nature, le sentier disparaissait par endroits, m’obligeant à me forer un tunnel à travers les taillis. Ne restaient debout que quelques cairns, ces amoncellements de pierres calcaires qui indiquaient jadis au pèlerin la direction à suivre. Ailleurs, je me guidai au bruit du torrent en contrebas. »
Elle s’appelle Kaori Shikiai, de la lignée Shikiai tout comme bien sûr sa grand mère Lasana. Une prestigieuse lignée de conteurs. Or des rumeurs courent sur un dérèglement du Flux, les lignées sont menacées.
« Car le Flux est le Souffle qui circule en toute chose »
Un homme, Maître Toishi vient un jour proposer d’emmener Kaori dans la lointaine Pavané, mais la grand mère refuse…
Lorsque quelques temps après Lasana décède, ce souvenir hante Kaori. Et cette idée de quitter les monts d’Automne pour rejoindre Pavané ne quitte plus son esprit, lorsqu’elle s’isole du monde pour sentir la liberté couler dans ses veines et se souvenir d’un passé qui sans nul doute se profile comme une quête…
Le monde Tasai possède une certaine beauté dans sa société, empreinte d’une certaine spiritualité, en tous les cas dans les monts d’automne où elle a grandi.
« Sur Tasai, la lenteur prime sur la vitesse, et l’intérieur, sur l’extérieur. »
Partir et voir Pavané est donc un peu effrayant, et en même temps c’est presque une évidence, alors elle le fera bien sûr. Pavané la radieuse, Pavané la sauvage, celle où la crasse réalité des hommes s’incruste de force dans la blanche et pure ingénuité de la douce Kaori. Celle de la violente réalité d’un monde qui peut être brut, obscur et sale.
Mais Pavané ne sera qu’une étape vers un ailleurs bien plus lointain, là-haut parmi les étoiles, là où elle sera contrainte de fuir pour survivre car elle porte avec elle ce que sa grand mère lui a légué en mourant. Quelque chose à la fois précieux et effroyablement dangereux, un objet dont les terrifiants moines Talanké ont eu vent et qui peut-être recèle la clé de toutes les questions qui s’écoulent dans l’esprit de Kaori, de tous les rêves étranges qui peuplent ses nuits : un rouleau de papier couvert de signes indéchiffrables… écrits !
« Car le Verbe ne peut être figé, tel le Flux porteur de vie, il doit pouvoir circuler librement entre le ciel et la terre. »
La poésie aphrodisiaque d’un univers amnésique.
Analyse dystopique
« Ma mémoire est saturée d’émotions fanées. »
J’ai tant de choses à dire sur ce livre qu’il m’est difficile de savoir par où commencer…
Ce qui frappe en tout premier lieu c’est l’écriture, colorée d’une poésie certaine dans des tournures de phrase où les mots embellisent joliment le récit. Mais attention, ce n’est pas une poésie qui s’écoute parler (ou qui se lit écrire ?…) et où de longues descriptions ampoulées et soporifiques rempliraient des pages entières d’écrits maniérés. Non, en réalité, la poésie est ici simplement présente dans chaque phrase, de manière très naturelle. C’en est presque d’ailleurs parfois frustrant, et on en aimerait un peu plus, tant il est évident que l’auteur, Émilie Querbalec, en est capable. Mais à l’image de ce monde de Tasai, tout est affaire de subtilité et de modération.
« Tout s’effrite, comme le sable des déserts de Tau Auri. Les statues de sel s’enfouissent, l’oubli recouvre tout de son manteau de poussière. L’humanité entière est frappée d’amnésie. Un jour nous ne serons plus que traces, et ces traces elles-mêmes finiront par s’effacer. »
En tous les cas c’est un plaisir de lire ce texte, et çà c’est déjà capital. Car si avoir une idée et savoir développer une histoire est déjà bien, savoir manier les mots avec sensibilité est une chose moins commune, et cela lui a valu d’ailleurs assez souvent d’être comparée (dans les nombreuses chroniques qui sont déjà parue sur le net…) à Ursula K. Le Guin…
Personnellement, si j’avoue que cette comparaison m’a traversé l’esprit, je dois dire que le style me semble tout de même assez différent, même s’il est vrai que la psychologie du personnage principal, ses émotions et son ressenti, et un certain érotisme latent sont au coeur du récit.
Ensuite, pour parler du roman lui-même, il est intéressant par plusieurs aspects. D’abord c’est un monde pré-technologique, où une néo-religion tient lui de science, le « Flux » étant l’équivalent d’une entité divine. Son originalité réside dans le fait que c’est un monde d’inspiration (très très très) japonaise, d’une grande spiritualité, ce qui va permettre un contraste saisissant dans les parties suivantes du récit.
« Sans (le Flux), nous ne serions que des bêtes livrées à leurs instincts dans une nature laissée à l’état vierge. Son savoir nous élevait au rang d’êtres vivants supérieurs, organisés en société, avec une culture et des arts florissants. »
Car il y a dans le récit plusieurs parties très distinctes, aux ambiances très différentes. On passe d’un monde primitif « zen » à un monde primitif violent puis on pressent peu à peu que cette planète n’est qu’une parmi tant d’autres, et que des échanges permanents existent avec d’autres humains qui voyagent à travers l’espace… Alors forcément, on embarque aussi avec la jeune Kaori qui semble un peu dépassée par les évènements…
« Sous nos pieds, le ballet chatoyant des promeneurs se poursuivait comme si de rien n’était, exactement comme sur la grande place d’une cité – mais une cité lévitant au-delà de l’éther, sous le feu glacé des astres. Cette station n’était rien de moins qu’un véritable palais céleste, une ville hors du monde, une hypothèse hallucinée où se côtoyaient des êtres aux destins improbables. »
C’est d’ailleurs pour moi l’aspect le plus caractéristique du livre : le personnage principal est la plupart du temps victime de l’histoire et semble la subir de bout en bout. Elle est trimballée de troupe en troupe au début, on choisit pour elle son métier, on la confie à des inconnus, on l’emmène à travers l’espace vers des destinations inconnues pour des raisons inconnues ou des personnages inconnus payés par d’autres personnages inconnus ont une mission inconnue… J’exagère à peine… Mais la seule véritable décision que prend Kaori dans le livre c’est celle de « quitter les monts d’automne » justement, ce qui justifie pleinement le titre du livre.
« Au fond de moi, je savais qu’il me faudrait affronter ma vérité – cette chose sombre et effrayante tapie sous le blanc informe et, finalement, assez confortable, de l’oubli. »
En même temps c’est assez amusant, car cela donne l’impression que l’on découvre peu à peu l’univers développé par l’auteur, exactement au même rythme que le narrateur (en l’occurence, le narrateur, c’est le personnage principal). C’est un peu déstabilisant (en tous cas moi ça m’a déstabilisé) mais c’est tout à fait original et cela laisse la part belle aux émotions et à une atmosphère parfois très sensuelle, car Kaori découvre beaucoup de choses au fil du récit… Bon évidemment ça rend le personnage de Kaori un peu « plat », mais finalement, est-ce bien l’essentiel ?
Car l’essentiel c’est cet univers bâti par Émilie Querbalec. Un univers très ancien, peuplé d’êtres humains dispersés, et dont l’origine est trop enfouis dans les millénaires passés pour qu’on s’en souvienne. Un univers amnésique en somme.
Tasai ressemble à la Terre, mais très vite on se rend compte que ce n’est pas possible, car certaines choses ne collent pas, certaines espèces animales par exemple comme la fabuleuse méduse dont on extrait un lait fortement aphrodisiaque et que l’on nomme céphalope ( une contrepèterie pour fée-salope ? hum, je suis sûr que c’est fait exprès…).
« La bête faisait à peu près la taille d’une grosse méduse, sauf qu’elle avait la forme et l’aspect d’une panse de poils. Deux paires d’yeux globuleux saillaient sur chacun des côtés, et de longues excroissances s’emmêlaient sous la partie inférieure. »
Alors on quitte forcément Tasai, à bord de vaisseaux où la gravité n’est que très partiellement présente (ouf, enfin un auteur qui ne tombe pas dans la facilité de la gravité artificielle !), où les pièces sont minuscules et qui nous rappelle parfois notre triste condition de terriens soumis à la volonté du terrible covid-19…
« Vous autres humains avez une tolérance très faible au confinement »
Concernant la « vie à bord », j’aimerais d’ailleurs « tirer mon chapeau » à l’auteur car comme je l’ai dit plus haut, on découvre totalement le monde avec les yeux de Kaori. Or, elle est absolument ignorante de tout ce qui, à nous, peut sembler simple et évident. C’est assez jouissif et parfois terriblement drôle. Et je félicite Émilie Querbalec de faire partie de cette minuscule poignée d’auteurs capables de réaliser l’exploit remarquable d’évoquer avec une subtile poésie ce moment de la vie qui suscite un tabou quasi absolu tant dans les livres que dans les films : la grosse commission.
« (…) la cabine de toilette, une espèce de cagibi annexe où je pus faire mes besoins, au prix de quelques adaptations peu poétiques. »
Peu à peu (pour revenir à des choses moins frivoles…), une intelligence artificielle nommée Vif-Argent prend petit à petit une place primordiale, et on bascule du pré-technologique au space opera, où le transhumanisme et le post-humanisme font leur apparition. Personnage étonnant, on ne sait pas vraiment dans quelle mesure il est bienveillant, mais manifestement il n’est pas au courant des lois de la robotique d’Isaac Asimov…
Les Sylphes sont également des personnages intéressants, dont on se demande parfois un peu ce qu’ils font là, quelle est leur place dans le récit. Non qu’ils n’aient pas leur rôle, et un rôle majeur d’ailleurs comme on finit par le comprendre, mais ils ne sont pas « cohérents ». Je veux dire qu’ils relèvent plus de la fantasy que de la science-fiction, et c’est sans doute la chose qui m’a le plus gêné dans ce livre que j’ai par ailleurs beaucoup apprécié. Ils ne collent pas à cet univers pourtant parfaitement crédible, mais je vous laisse vous faire votre opinion là-dessus.
« Les Sylphes étaient-elles humaines ? Possédaient-elles un coeur, une âme, éprouvaient-elles de la tristesse ou de la joie, de la haine ou de la compassion ? Quel genre de monstre allais-je devoir séduire ? »
En dehors de cela, je dois dire que ce livre est tout à fait remarquable, et que son auteur a un indéniable talent de « conteur ». Peut-être est-elle issue de la lignée Shikiai elle aussi… On y retrouve cette belle capacité d’écriture fluide et poétique de quelques grands auteurs français comme Philippe Curval, la sensibilité d’une Ursula K. Le Guin bien sûr, un humanisme des personnages à la Hugh Howey, et puis j’y ai retrouvé des atmosphères à la Jacques Sadoul ou René Barjavel… Barjavel qui est peut-être en partie inspirateur de cette histoire tant elle pourrait être une suite très éloignée de l’un de ses romans les plus célèbres mais çà, je vous laisse deviner lequel…
Quitter les monts d’automne est un livre qui ne laisse pas indifférent, écrit avec une grande finesse par la plume poétique d’Émilie Querbalec. C’est le récit d’une quête d’identité, à la fois celle d’une jeune femme et celle de toute une humanité, l’une comme l’autre ayant tout oublié de leurs origines. Est-il possible de vivre sans savoir qui l’on est ? Jusqu’où peut-on aller pour le découvrir ? Ce sont là les questions posées par ce roman. La vérité se niche sans doute en chacun de nous… où peut-être que « la vérité est ailleurs » ?
À vous de le découvrir en lisant Quitter les monts d’automne !
« Les histoires sont ce que nous possédons de plus précieux (…). Que deviendrait le monde, sans elles ?«
Faites-moi part de vos avis en commentaire, si le coeur vous en dit.
Auteur : Émilie Querbalec
Editeur : Albin Michel
Collection : Albin Michel Imaginaire
Format : 14×20,5
ISBN : 978-2226451934
448 pages
Parution : septembre 2020
Pays : France
Chroniqueur : Julien Amic
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Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic…
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