La forêt pourpre est un recueil de nouvelles écrites par l’auteur anglais Algernon Blackwood entre 1906 et 1921 et publié en septembre 2022 chez les éditions de L’arbre vengeur.
Dans les forêt canadiennes, en ce début de 20ème siècle, la nature semble encore sauvage et elle cache au coeur de ses forêts profondes ce qui subsiste des légendes indiennes de l’ancien temps. Malheur à ceux qui ne respecteront pas les règles occultes qui régissent les grands espaces nord-américains. Ils n’en reviendront pas indemnes.
Puissiez-vous ne jamais entendre l’appel du Wendigo…
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Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic…
Un extrait de « La forêt pourpre » …
« Ce n’est rien… rien du tout. Juste des histoires auxquelles croient ces guignols quand ils ont trop forcé sur la bibine… une sorte de créature qui vivrait par là-bas, souffla-t-il avec un signe de tête vers le nord, rapide comme l’éclair et plus gros que quoi que ce soit dans les bois, et pas très agréable à regarder à ce qu’on dit… c’est tout ! »
Teaser : « La forêt pourpre »
Un teaser pour vous donner envie…
(Si vous souhaitez en savoir le moins possible sur le livre, lisez seulement cette partie)
Les forêts d’Amérique du nord sont vastes, profondes, on les atteint après plusieurs jours de marche et de longues navigation en canoë agrémentées de portages épuisants.
Il n’y a guère que les chasseurs blancs en quête de trophées pour s’aventurer là où le monde sauvage règne en Seigneur. Ils s’en vont établir un campement au milieu d’étendues aussi belles que dangereuses, guidés par des hommes dont le sang indien coule encore dans les veines. Ceux-là savent où se trouvent le vénérable orignal. Ils savent aussi les limites qu’il ne faut pas franchir…
Car il se peut que la nuit, près du feu de camp, vous entendiez la voix gutturale du vent dans les arbres, et comme une odeur de fauve venue d’on ne sait où. Vous vous sentirez observé par quelque chose qui n’est pas humain, et pas vraiment animal non plus. Plus tard dans l’obscurité, vous entendrez votre voisin de tente sangloter dans l’ombre, comme un enfant en proie à des rêves terrifiants.
Mais rêve t-il vraiment ? Et puis d’ailleurs, est-ce vraiment votre guide de chasse qui est là près de vous ? Est-ce lui où bien est-ce quelque chose de bien plus ancien, de bien moins humain ? C’est à ce moment précis que vous vous figerez d’effroi.
« Dans le noir, il vit deux petits cercles verts, qui ne pouvaient être que des yeux »
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(La suite, sans révéler l’intrigue ni le dénouement, dévoile certaines parties du récit. Pour lire seulement l’analyse vous pouvez vous rendre directement ici )
De sombres histoires canadiennes
L’histoire en profondeur, mais sans tout dévoiler
Dans « La Clairière du Loup« , un pêcheur établit son campement sur les berges d’un grand lac dont on dit qu’il foisonne de gros poissons. Medicine Lake est perdu quelque part au milieu de la grande forêt primaire, et c’est un coin de paradis que ne fréquente qu’un vieil indien vivant dans une cabane de bois.
Tout ce qu’on recommande à Malcolm Hyde, c’est de ne pas dresser sa tente sur la rive ouest, sans plus d’explications. Pourtant elle est bien plus accueillante et poissonneuse, alors le pêcheur fait fi des conseils. Très vite il se sent observé : il y a quelque chose tapi dans les bois… quelque chose qui le regarde fixement, il le sait, il le sent et soudain… il le voit !
« La Vallée des Bêtes Sauvages » est le récit d’une partie de chasse à la recherche du plus gros orignal du monde, qui a été aperçu dans les parages. Grimwood, un Anglais rustre et violent, fait équipe avec son guide indien dénommé Tooshalli. Ensemble ils traquent l’animal jusqu’à ce que soudain, Tooshalli refuse de s’avancer davantage sur sa piste.
Car l’orignal est entré dans la Vallée des Bêtes Sauvages, celle qui appartient à Ishtot, le dieu Indien de la chasse. Nul homme ne doit pénétrer dans cet endroit, c’est ainsi.
Grimwood pourtant ne peut se résigner à écouter son compagnon, et poursuit seul sa route à la recherche de la bête.
« L’île Hantée« est une petite terre isolée au milieu d’un grand lac canadien, où une vingtaine de jeunes amis passent leurs vacances d’été. Lorsque le temps du retour à la civilisation est venu, l’un d’entre eux décide de demeurer dans le grand chalet pour travailler seul ses cours de Droit. C’est un endroit idéal pour s’isoler et se concentrer, pour lire et apprendre.
Une nuit, il est pris d’un effroi soudain, et ressent une aversion absolue pour la chambre dans laquelle il a élu domicile pour quelques jours. Puis il aperçoit au dehors un canoë mené par deux indiens, et qui s’approche de l’île. Au coeur de la nuit, les deux hommes débarquent au bout du ponton… et se dirigent vers le chalet.
« Le Lac du Corps-Mort« raconte l’histoire d’un groupe de chasseurs qui établit son campement aux abords d’un grand lac « isolé dans les profondeurs de la forêt québécoise ». Une nuit, Rushton revient sans son guide, en proie à une grande terreur. Son discours incohérent raconte comment leur canoë s’est retourné, comment il a survécu, et ce qu’il est advenu de son Jake « le Suédois »…
« Le Wendigo » est le récit effroyable de l’expérience vécue par Mr. Simpson et son guide canadien Joseph Défago. Celui-ci emmène le jeune chasseur explorer la rive sud de Fifty Island Water, car c’est ce qu’on lui demande… pourtant il semble contrarié, car il connait les vieilles légendes des indiens, et ce coin là n’a pas bonne réputation.
Alors le soir, à la lumière du feu, lorsqu’une drôle d’odeur envahit l’atmosphère, et lorsque quelque chose semble planer au-dessus du camp, les deux hommes ressentent une peur irrationnelle monter en eux. Est-ce la solitude des grands espaces qui leur fait perdre l’esprit ? Où bien est-ce le Wendigo ?
« L’homme qui a la chance de vivre une expérience hors du commun et qui se risque à s’en ouvrir à ses semblables ne doit pas s’étonner de passer pour un menteur ou pour un fou »
Légendes occultes et grands espaces
« La forêt pourpre » décortiquée
« Il est en effet bien facile de donner des explications savantes à un phénomène dont on n’est pas personnellement témoin. »
Algernon Blackwood fait partie des grands maîtres du « fantastique horrifique », et H.P. Lovecraft disait de lui qu’il était l’un de ses auteurs favoris et une grande source d’inspiration.
En effet on peut trouver un certain lien de parenté littéraire entre les récits de l’un et ceux de l’autre. Dans ce recueil de cinq nouvelles – forme littéraire que Lovecraft appréciait particulièrement – il y a cette manière de raconter les choses en suggérant d’emblée que l’issue de l’histoire aura quelque chose d’effroyable. Écrire dès le premier paragraphe que ce que l’on va révéler est si épouvantable que cela pourrait nous conduire tout droit à l’enfermement dans un asile d’aliénés est une constante chez Lovecraft, et une caractéristique de son oeuvre. Il semble que ce soit à Algernon Blackwood qu’il ait emprunté ce mode opératoire…
Et ce qui caractérise en premier lieu les 5 récits de « La forêt pourpre », c’est une certaine atmosphère, à la fois oppressante et fascinante, irréelle et cauchemardesque… Très exactement ce qu’on a pu trouver chez Edgar Allan Poe quelques décennies plus tôt, ou bien chez H.P. Lovecraft quelques années plus tard. Aujourd’hui certains auteurs (lire La chasseuse de trolls de Stefan Spjut ou L’organisation et Autochtones de Maria Galina) maitrisent ce mélange d’occultisme et de réalisme qui crée cette étrange et délicieuse sensation de malaise !
« Il avait le sentiment d’être dans l’un de ces rêves fantastiques où des choses peuvent avoir lieu sans provoquer de surprise »
La forêt pourpre rassemble donc plusieurs oeuvres qui semblent toutes se dérouler à peu près au même endroit, dans les forêts canadiennes (« Histoires canadiennes » est d’ailleurs un sous-titre que l’on retrouve en page intérieure), au milieu de vastes étendues boisées et sauvages et souvent tout près d’un grand lac « en forme de croissant » qui prend tour à tour des appellations différentes ( Fifty Island Water, Medicine Lake, le Lac du Corps-Mort…). Dans chacun de ces récits les protagonistes sont des chasseurs qui vont par paire (Le Wendigo, la Vallée des Bêtes Sauvages, le Lac du Corps-Mort) ou des individus solitaires (le pêcheur de la Clairière du Loup ou l’étudiant de l’Île Hantée), et dans tous les cas ils finissent par se retrouver seuls dans une nature à l’état brut.
Tous ces récits racontent la solitude et l’infinie vulnérabilité de l’homme civilisé perdu au milieu des vastes étendues lacustres et des grands espaces boisés du nord de l’Amérique de ce début de vingtième siècle.
Algernon Blackwood explore la psyché humaine, la résistance de l’esprit face à l’effroi que suscite la confrontation au monde sauvage. On est toujours à de nombreux miles de la civilisation, à plusieurs jours de marche ou de navigation de la ville la plus proche, dans des lieux on l’on suit non pas des sentiers mais des pistes furtives tracées par le passage des orignaux, des loups, ou de quelque autre entité innommable…
Le fantastique est omniprésent dans chacun de ces récit, et l’auteur puise son inspiration dans les légendes indiennes ( à noter qu’il fut membre du Golden Dawn, une société secrète britannique dédiée aux sciences occultes). Le principal récit du recueil, par sa longueur comme par sa qualité, évoque notamment le Wendigo, une divinité des indiens Algonquins (originaires du Canada actuel). Si l’on en croit la (les) légende(s), c’était un monstre effroyable dont on dit qu’il ensorcelait ses victimes avant de les tuer et de les manger… Il pouvait aussi posséder leur esprit affaibli par la solitude, la faim et le froid. Pour Blackwood, le Wendigo est aussi celui qui fait perdre la raison à ceux qui ne sont pas suffisamment endurcis. Il est en quelque sorte la dure réalité du monde sauvage qui s’impose à la faiblesse des hommes dits civilisés… De quoi nous faire réfléchir, n’est-ce pas ?
« le Wendigo est simplement la personnification de cet Appel de la Forêt, que certaines natures sont prédisposées à entendre, même si cela doit signifier leur perte. »
Blackwood évoque aussi un certain Ishtot, dieu amérindien de la chasse, mais dont je n’ai trouvé aucune trace dans mes recherches… Peut-être a t-il été inventé par l’auteur ?
Par ailleurs on retrouve des allusions au chamanisme et à l’animisme, comme dans La Clairière du Loup, et peut-être quelques relents de superstitions britanniques dans l’Île Hantée ou Le lac du Corps-Mort…
L’occultisme est omniprésent chez Algernon Blackwood, c’est un fait. C’est aussi un vrai bonheur pour les amateurs du genre !
Concernant cette édition en particulier, je dois enfin évoquer les quelques très belles illustrations de Greg Vezon, qui figurent à la perfection l’ambiance nocturne et surnaturelle de chacun de ces étonnants récits.
« La forêt pourpre » est un recueil de nouvelles consacrées aux forêts canadiennes et aux légendes amérindiennes. Algernon Blackwood place le lecteur dans la situation de ses protagonistes, isolés dans la solitude immense des grands espaces, confrontés à l’hostilité d’un monde sauvage hanté par les légendes des anciens peuples. Ces « récits-de-chasseurs-au-coin-du-feu » suscitent un effroi qui n’aurait pas déplu à Edgar Poe, et qui a clairement inspiré Lovecraft. Quiconque lit ces quelques histoires canadiennes n’en ressort pas indemne et se surprend à renifler dans l’ombre pour y chercher avec appréhension l’odeur de fauve du Wendigo… En ce qui me concerne, c’est plutôt ce livre que j’ai possédé… et dévoré !
« L’entendre raconter son périple donne à admirer son invincible courage et à apercevoir la solitude désespérée que peut ressentir l’âme d’un homme lorsque la nature sauvage le tient au creux de sa main infinie… et moqueuse. »
Faites-moi part de vos avis en commentaire, si le coeur vous en dit.
Auteur : Algernon Blackwood
Editeur : L’arbre vengeur
Format : 14,5×21
ISBN : 978-2379412011
200 pages
Parution : 2022 (septembre)
Parution originale des nouvelles de ce recueil : 1906-1921
Pays : Angleterre
Traduction : Romane Baleynaud
Illustrations : Greg Vezon
Chroniqueur : Julien Amic
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