La Peste du léopard vert - Walter Jon Williams - les-carnets-dystopiques.fr
La Peste du léopard vert
La Peste du léopard vert

La Peste du léopard vert est une novella de l’auteur américain Walter Jon Williams. Initialement publié en 2003, il n’a été traduit en français qu’en 2023 dans la collection Une Heure-lumière des éditions Le Bélial.
Une enquête numérique à la recherche des origines d’une posthumanité utopique…

« L’air était d’une immobilité absolue et imprégné du parfum des fleurs nocturnes. Des roussettes filaient résolument au-dessus des eaux, en partance pour leur repos diurne. Quelque part, un cacatoès blanc lança un cri strident. Un stourne de Micronésie entama un vol des plus brefs vers le large, puis rebroussa chemin. Le soleil levant projetait des étincelles rouge et or depuis les crêtes des vagues et parait de lumière la végétation tropicale qui couronnait les nombreuses îles s’étalant jusqu’à l’horizon.
La sirène décida qu’il était l’heure de déjeuner. »
Walter Jon Williams « La Peste du léopard vert », éditions Le Bélial – 10,90€

Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic
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☆Teaser : « La peste du léopard vert »

Un teaser pour vous donner envie…

 

Michelle est une Sirène. Mais elle fut un singe, et elle est humaine. Sa spécialité, c’est de fouiller dans les archives numérisées au fil des générations, et d’y débusquer les traces furtives des histoires passées.

« Là, et nulle part ailleurs, subsistait une quantité titanesque de données banales issues du passé. […] Si un truc quelconque avait signifié quelque chose pour quelqu’un, on l’avait converti en données et préservé pour le plus grand bien de l’univers. »

En réalisant pour le compte d’un biographe une enquête sur une période obscure de la vie de Jonathan Terzian, un homme visionnaire qui prédit jadis l’apparition de « la Peste du léopard vert, la première épidémie transgénique », elle découvre qu’il est lié à d’obscures affaires de meurtre, qu’il a fréquenté et aimé une étrange inconnue aux yeux verts, et qu’il eut maille à partir avec des hommes de main de l’ancienne Transnistrie, enclave russe à la frontière Moldavo-Ukrainienne.

En approfondissant ses recherches, elle va découvrir que durant quelques semaines, Terzian fut confronté à une chose qui allait avoir une influence décisive sur le futur, une chose minuscule qui allait modifier en profondeur, et c’est peu de le dire, l’essence même de l’espèce humaine.

« Qu’y a-t-il dans ce putain de sac ? »

 

☆ Un nouvel espoir…

Chronique analytique…

« Si une population entière souffre de la famine, c’est parce que quelqu’un, quelque part, y voit une source de profit. »

La Peste du léopard vert est un roman d’une densité déconcertante. C’est un récit double où l’on suit parallèlement l’histoire de Michelle – la Sirène-humaine-qui-a-été-singe – et celle du dénommé Terzian, économiste (mal)chanceux tombé en amour d’une insupportable activiste aux yeux verts dans un passé qui semble assez lointain. Deux ambiances se côtoient donc, la première oscillant entre conte onirique et thriller biopunk, et la deuxième entre épopée romantique et dystopie sanitaire…

Plusieurs sujets abordés ici méritent que l’on s’y attarde. Le récit est bâti sur l’idée que le monde moderne est gangréné par la famine, et que celle-ci est utilisée à des fin de manipulation géopolitique. Chaque protagoniste appelle un point de vue différent et complémentaire aux autres.

La jolie Stéphanie aux yeux verts fait partie d’une organisation qui, pour lutter contre cet état de fait, trouve une solution aussi efficace que radicale, quoique relevant de l’apprenti-sorcellerie. Impossible d’en dire plus sans dévoiler la trame du livre sinon qu’il s’agit d’une biotechnologie franchement intrusive.
C’est bien beau mais il y a un hic. Il y en a même plusieurs, et Walter Jon Williams interroge habilement les convictions du lecteur, où plutôt de la société même dont il est issu. L’auteur imagine ce que serait un monde dans lequel la nourriture perdrait sa valeur marchande. La civilisation moderne ne risquerait-elle pas l’effondrement si l’on éradiquait le problème de la faim ? La thèse est dérangeante, mais elle est étudiée ici de manière intéressante, et cette partie là du récit est une diatribe subversive des intérêts divergents qui coexistent dans nos sociétés actuelles : si des gens meurent de faim, c’est bien que quelques uns y trouvent leur intérêt !
Mais alors, que serions-nous prêt à accepter pour lutter contre la famine ? L’opinion publique est-elle prête pour des solutions radicales, et si ce n’est pas le cas, doit-on imposer le changement dans la clandestinité, par un activisme furtif s’apparentant par certains aspects à du bioterrorisme ou à une forme de totalitarisme… humaniste ? C’est là une des questions centrale du livre.

Le rôle de Terzian, personnage luttant avec ses sentiments ambivalents à l’égard de Stéphanie, c’est d’interroger les notions de « valeur argent » et de « valeur travail ». Son raisonnement d’économiste est intrigant et passionnant à découvrir, et opère dans l’esprit du lecteur un basculement de paradigme assez jouissif… Il se fait aussi en quelque sorte l’avocat du diable et permet à l’auteur de creuser son raisonnement jusqu’à en extraire la substantifique moelle.

Enfin, il y a Michelle, sirène nerd solitaire perchée sur un îlot paradisiaque. La petite subtilité de l’histoire qui fait toute la saveur du livre, c’est qu’un mystérieux ex-amant la cherche sans relâche parmi la multitude des rochers verdoyants émergeant d’un lagon tout bleu, et faisant quelques apparitions au porte-voix (où es-tu, je t’aime ?…) brisant régulièrement la continuité du récit. Pourquoi s’acharne t-elle à ne pas lui répondre ? Le dénouement de cette intrigue en apparence secondaire, fort inattendu, offre cette sensation de vertige tant espérée des amateurs de récits spéculatifs dont nous faisons tous partie (n’est-ce pas ?). Car chaque utopie recèle une (petite ?) part de dystopie

Il est difficile d’expliciter davantage les questionnements suscités par la lecture de La Peste du léopard vert sans dévoiler l’intrigue. Car toute la force de Walter Jon Williams est ici d’imbriquer les faits sans même que l’on s’en aperçoive, de manipuler des thèses novatrices sur l’économie, l’argent, la nourriture et la famine, les biotechnologies et la manipulation génétique, la notion de données personnelles numérisées aussi… L’auteur se paie même le luxe, en seulement 114 pages, de créer des personnages aux personnalités complexes ! Le final un brin dérangeant rassemble d’un seul coup tous les éléments pour en faire un ensemble cohérent qui tourneboule en une phrase les notions élémentaires de vie, de mort, et d’amour… Voilà donc, à mon humble avis, un livre qu’il faut lire absolument !

La Peste du léopard vert, c’est un pur concentré de SF, une utopie verte hyperconnectée, un biopunk anti-capitaliste au romantisme acide, dont la posthumanité interroge l’essence même de nos valeurs morales et sociales. Si vous ne le lisez pas, c’est tant pis pour vous ! 

« Votre jeune ami commence à devenir pénible. Il empêche les tortues de dormir et il effraie les poissons. »

 

Faites-moi part de vos avis en commentaire, si le coeur vous en dit.
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☆ Caractéristiques du livre

La Peste du léopard vert

Auteur : Walter Jon Williams
Editeur : le Bélial
Collection : Une heure lumière
Format : 12×18
ISBN : 978-2381630960
128 pages
Parution : 2023
Prix : Nebula 2005
Titre original : The Green Leopard Plague
Parution originale : 2003
Pays : États-Unis

Traduction : Jean-Daniel Brèque
Chroniqueur : Julien Amic

« La Peste du léopard vert » – Le Bélial – 10,90€

 

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