Ecrit en 1931, Les Montagnes Hallucinées (Mountains of Madness) est une oeuvre majeure écrite par un auteur tout aussi majeur : Lovecraft. Récit d’une expédition Antarctique virant au cauchemar, il s’agit de l’un des récits « tardifs » de l’auteur, un de ceux qui relèvent le plus de la science fiction à une époque ou celle-ci n’existe pas encore véritablement…
Voici la première traduction de Jacques Papy et Simone Lamblin, datant de 1954, remarquablement illustrée en 2020 par Olivier Subra, aux éditions Magellan & Cie.
Note importante :
Cette chronique, en dehors bien sûr des exemples d’illustration et de la dernière partie (analyse dystopique) qui a été mise à jour pour correspondre à cette édition spécifiquement, reprend la présentation et le résumé fait dans ma précédente chronique sur « Montagnes de la folie » traduction du même ouvrage réalisée en 2016 par François Bon. J’ai donc bien entendu modifié les textes des extraits pour les faire correspondre à la version traduite ici par Jacques Papy et Simone Lamblin. Si vous voulez comparer les deux traductions, vous pouvez-donc aller jeter un oeil à la chronique « Montagnes de la folie » !
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Un extrait de « Les Montagnes hallucinées » …
« Peu à peu, cependant, ils montèrent inexorablement dans le ciel occidental, nous laissant discerner les différents sommets nus, désolés, noirâtres, et saisir le sentiment bizarre d’imaginaire qu’ils inspiraient dans la lumière rougeâtre de l’Antarctique, avec en arrière plan le défi des nuages irisés de poussière de glace. »
Présentation de « Les Montagnes Hallucinées »
Un teaser pour vous donner envie…
(Si vous souhaitez en savoir le moins possible sur le livre, lisez seulement cette partie)
Elles sont incroyables ces montagnes, d’une hauteur phénoménale qui surpasse sans aucun doute les plus hauts sommets de l’Himalaya. Dans cet Antarctique ou le vent souffle sans cesse avec une grande violence, une expédition mène une campagne d’exploration et creuse le sol gelé au pied de ces montagnes.
« Je ne pouvais m’empêcher de les sentir malfaisantes, ces montagnes hallucinées dont les versants plus lointains veillaient sur quelque ultime abysse maudit. »
Alors qu’une partie de l’expédition reste en arrière, la plupart des scientifiques part plus avant et entame des forages. Ce qu’ils découvrent, emplis d’effroi, ils le décrivent et transmettent par radio les résultats de leurs… dissections. Car ils semblent avoir découvert une forme de vie très ancienne, incompréhensible car en contradiction avec notre connaissance de l’évolution.
Alors que la communication est brutalement coupée, les deux scientifiques restés en arrière avec l’avion de secours tentent de rallier le camp au pied des montagnes. Leur abominable découverte les pousse vers ces montagnes. Ils vont les survoler et découvrir les traces d’une civilisation impossible, une ville gigantesque sur les hauts plateaux de cette région ou aucun homme n’a jamais posé son regard.
Ils vont alors explorer ces constructions à l’architecture perturbante et s’enfoncer dans leurs entrailles jusqu’à découvrir l’indicible…
(La suite, sans révéler l’intrigue ni le dénouement, dévoile certaines parties du récit. Pour lire seulement l’analyse vous pouvez vous rendre directement ici )
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Gravir les montagnes hallucinées et s’enfoncer dans l’horreur
L’histoire en détails
L’horreur découverte lorsqu’ils rejoignent le camp, William Dyer répugne à la décrire. Et ce d’autant plus qu’elle se révèle à bien des égards incompréhensible.
Par radio, le professeur Lake a expliquer quelle fureur étreignait les chiens de l’expédition. Il supposait que c’était l’odeur de ces organismes qu’il avait découvert qui suscitait chez eux cette agitation difficilement contrôlable. Dyer et son collègue Danforth constatent sur place que ces chiens sont tous morts, affreusement mutilés. C’est aussi le cas de tous les hommes présents. Seul Gedney et un chien ont disparu. Le camp est sens dessus-dessous et les organismes découverts ont en partie disparu également. Ceux qui restent ont été bizarrement à demi enfouis dans le sol. Ces créatures dont les tissus ont été formidablement conservés et sur lesquels des dissections ont été pratiquées.
« J’ai parlé du sol ravagé par le vent, des hangars endommagés, des machines détraquées, des inquiétudes successives de nos chiens, des traineaux et autres objets disparus, de la mort des hommes et des chiens, de l’absence de Gedney et des six spécimens biologiques dans leur sépulture insensée, étrangement bien conservés malgré toutes leurs lésions, dans un monde mort depuis quarante millions d’années. »
Et en effet, ils semblent avoir émergé du fond des âges, ce qui leur vaut le qualificatif de « Grands Anciens ».
Peut-être Gedney, pris d’un accès de folie meurtrière, a t-il fuit avec le chien et le traineau manquant…
Depuis le camp, on peut apercevoir la ligne de crête de ces hautes montagnes. On peut y voir d’étranges formations cubiques. Dyer et Danforth décide de prendre l’avion et de tenter d’atteindre un col qui leur permettra d’avoir un aperçu de ce qui se trouve au delà de la chaîne des montagnes.
« Puis, ayant gagné ces quelques pieds d’altitude, nous pûmes enfin ouvrir grands les yeux, par-delà la formidable ligne de partage, sur les secrets inviolés d’une Terre antique et totalement étrangère. »
Ils découvrent un plateau recouvert par une gigantesque cité. Une architecture faite de cubes et de cônes. Une architecture qui défie les capacités de l’esprit humain.
Ayant réussi à se poser, ils décident d’entamer l’exploration d’une partie de ce site.
« (…) leurs formes outrées et inimaginables nous impressionnaient de nouveau à chaque nouvel angle de vision.(…) Il y avait des formes géométriques auxquelles Euclide aurait à peine su donner un nom (…) »
En s’enfonçant dans les bâtiments dont certains sont encore remarquablement bien conservés, ils découvrent des murs de pierre couverts de gravures qui semblent raconter l’histoire des Grands Anciens, depuis leur arrivée sur terre jusqu’à la décadence de leur civilisation. Par le biais de ces hiéroglyphes que Dyer va découvrir l’origine Archéenne des grands anciens. Capables de créer des formes de vie, ils ont apporté celle-ci sur terre. Leur civilisation, à la fois terrestre et sous marine, en a côtoyé d’autres : les enfants de Cthulhu qui les ont repoussé au fond des mers, puis les Mi-Go les contraignirent à redescendre vers leur terre d’origine au sud. Finalement les Grands Anciens, dont une partie de la science s’était perdue au fil des éons se trouvèrent cantonnés à la région Antarctique.
Pour développer leur civilisation hors des océans, les Grands Anciens avaient créé des être qu’ils avaient réduits en esclavage : les shoggoths
« Ils (…) avaient (…) fabriqué (…) certaines masses protoplasmiques multicellulaires susceptibles de façonner leurs tissus en toute sorte d’organes provisoires sous influence hypnotique, et obtenant ainsi des esclaves idéals pour les gros travaux de la communauté. »
S’enfonçant plus profondément dans les entrailles de la cité, les gravures révèlent un art décadent, à mesure que les grands anciens perdirent le contrôle de ces monstrueuses créatures.
Où se trouvent Gedney et son chien, que sont devenus les corps des spécimens disparus ? C’est cela et bien plus que vont découvrir William Dyer et le jeune Danforth en s’enfonçant sous la cité, dans les entrailles de la montagne, vers une mer souterraine précambrienne alors qu’un cri résonne dans l’obscurité, un « choquant sifflement au large spectre »…
« Tekeli-li ! Tekeli-li ! »
Les Montagnes Hallucinées, le fantastique à l’épreuve de la science
Analyse dystopique
Voici donc une nouvelle réédition de la traduction originelle de 1954 de ce récit publié pour la première fois dans « Astounding Stories » en 1936 !
En 1937 Lovecraft meurt dans la ville de Providence. De sa vie, il n’aura jamais été publié ailleurs que dans des magazines de ce type. Lui qui est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands auteurs de science fiction, un précurseur génial, inventeur d’un « mythe » qui compte aujourd’hui un nombre incommensurable d’adeptes.
Ce récit a par la suite été remanié, redécoupé, raccourci, traduit et retraduit, inclus dans de multiples recueils… En France il fût d’abord édité sous le titre « Les Montagnes Hallucinées » puis fût retraduit par david Camus en 2013 et enfin en 2016 par François Bon. cette dernière version, parfaitement respectueuse du style si particulier de Lovecraft, voit le jour sous un titre bien plus fidèle à l’original : Montagnes de la folie (Mountains of madness). D’un point de vue « traduction », je conseillerais donc de lire plutôt la traduction la plus récente, toutefois l’intérêt majeur de l’édition dont il est question ici se trouve ailleurs, j’y reviendrai plus loin…
Dans ce récit, et comme toujours chez Lovecraft, le narrateur est une « voix-off » qui a vécu une histoire horrifique et qui en fait le récit. Un récit qui lui répugne mais qui semble être contraint par une nécessité impérieuse.
« Je suis obligé d’intervenir parce que les hommes de science ont refusé de suivre mes avis sans en connaître les motifs. C’est tout à fait contre mon gré que j’expose mes raisons de combattre le projet (…) »
Le narrateur, William Dyer écrit pour dissuader une expédition ( l’expédition Starweather-Moore, désormais aussi célèbre sur le net que l’expédition Shackelton-Rowett qui fût elle bien réelle…) qui se prépare à retourner sur les lieux, suite aux rapports volontairement incomplets transmis par Dyer et Lake. Cette manière de plonger directement le lecteur au coeur de l’effroi est une constante chez Lovecraft. Pas de surprise de ce côté là : on sait que le récit sera horrifique. Ce qu’on ne sait pas, c’est pourquoi, et Les Montagnes Hallucinées nous tient en haleine jusqu’aux dernières pages, alors que l’on avance de révélation en révélation.
Et ce qui fait selon moi tout l’intérêt du roman, c’est cette plongée dans la mythologie même de Lovecraft, comme s’il avait voulu dans ici mettre au clair ce qui ne l’était alors que dans son esprit. Les Montagnes Hallucinées, c’est une description précise des Grands Anciens, de leur origine, de leur civilisation, de leur mode de vie et de leur science. C’est aussi l’évocation de leurs cohabitation difficile avec les Mi-Go (ou abominables hommes des neiges, bien différents de l’imagerie simiesque habituelle…) et la « progéniture de Cthulhu ». Ici Lovecraft entre de plein pied dans la science fiction, ou plutôt il fait entrer la science fiction dans le récit fantastique.
Leur description ainsi que celle de la cité des grands anciens sont si irréelles qu’on se retrouve finalement en train de lire un planet opera sur terre… L’impression est bel et bien de se trouver sur une planète lointaine, et le récit m’a fait plusieurs fois penser à « Eden » de Stanislas lem, grand maître dans l’art d’imaginer et de décrire des formes de vie extra-terrestre.
La science est au coeur du récit, puisqu’il s’agit d’une expédition scientifique, partie « creuser » dans l’Antarctique, et qui trouve là dessous une civilisation « antédiluvienne » (tout comme dans « La nuit des temps » de Barjavel). Il est important de préciser qu’à l’époque ou fut écrit ce livre, le continent antarctique n’est encore que très peu connu, c’est encore une « terra incognita » dans laquelle on peut placer tous nos fantasmes. Les créatures, issues de l’éon Archéen (donc environ 3 milliards d’années), tout comme les autres civilisations auxquelles il est fait allusion, sont venues d’outre espace. Ailleurs dans la galaxie, ailleurs dans d’autres galaxies peut être (ce qui n’est pas si fréquent en science-fiction, ou les auteurs se cantonnent souvent préférentiellement à la voix lactée), ailleurs dans d’autres dimensions (des dimensions probablement « non-Euclidiennes », ce qui explique l’architecture défiant l’imagination).
Cette science est à l’oeuvre lors de la dissection des spécimens de grands anciens par les chercheurs humains (et vice versa … ?).
Le point d’orgue du récit, ce sont les « shoggoths« . Ces créatures et leur évolution au fil des âges prennent une importance grandissante au fil du récit.
« (…) son large front noir surgissant, colossal, du plus loin d’un souterrain sans bornes, constellé de lumières étrangement colorées et remplissant le prodigieux tunnel comme un piston remplit un cylindre. »
On apprend également très tôt dans le récit que si Dyer est le narrateur, Danforth lui ne s’exprimera pas, car son esprit semble avoir sombré après sa dernière vision dans ces « montagnes hallucinées ».
Point capital (enfin j’y viens) de cette édition, je dois m’y attarder un peu quand même : les illustrations. Il existe en effet plusieurs versions illustrées, dont le superbe ouvrage dessiné par François Baranger et le roman graphique de Gou Tanabé. Le premier regroupe des illustrations magnifiques et d’un immense réalisme (si j’ose dire…), très impressionnant. Le second livre des graphisme monochromes de type « manga » qui rendent incroyablement bien l’ambiance générale du roman.
Ici, avec la version illustrée par Olivier Subra, on a entre les mains un livre-objet réunissant de somptueux dessins à la limite de l’art abstrait, et qui laissent au lecteur toute latitude pour conserver ses propres capacités d’imagination. En effet, lorsque les dessins sont très (trop ?) réalistes, la représentation que l’on se fait de l’univers de l’auteur est fortement influencée par ces images. Par exemple, les illustrations d’Alan Lee ont fortement influencé l’imaginaire des lecteurs du Seigneur des Anneaux de Tolkien, et les films du réalisateur Peter Jackson sont visuellement très proches de la vision du dessinateur…
Les images d’Olivier Subra sont aussi fantastiques que le récit de Lovecraft, cauchemardesques et hallucinogènes, et elles accompagnent le lecteur jusqu’aux tréfonds des cavernes hantées de shoggoths… Sans aucun doute voilà un très bel objet-livre qui constitue le point d’entrée parfait dans l’univers de Lovecraft. Puissent les éditions Magellan & Cie commettre encore bien d’autres réussites comme celle-là !
Je terminerai en disant que « Les Montagnes Hallucinées » me semble être l’un des principaux écrits de H.P. Lovecraft, tant par la qualité de ses descriptions et l’éclairage qu’il apporte sur l’origine de certains des mythes évoqués dans on oeuvre, que par l’ambiance stressante et oppressante qu’offre ce décor de bâtiments « cyclopéens » gelés depuis des millions d’années.
Enfin, parce que la science fiction ne peut pas se contenter de mythologies et d’épouvante, d’horreur et de suspense (ce que nous trouvons dans le récit bien sûr), et parce que le propre de ce genre littéraire est de susciter une certaine réflexion, voici un dernier extrait, en espérant provoquer chez vous si ce n’est déjà fait l’envie de lire Les Montagnes Hallucinées, l’envie de lire Lovecraft.
« Dieu quelle intelligence et quelle ténacité ! Quel affrontement de l’incroyable, tout comme ces frères et ancêtres sculptés avaient affronté des choses à peine moins croyables ! Radiolaires, végétaux, monstres, frai d’étoiles, quoi qu’ils aient été, c’étaient des hommes ! »
Auteur : Howard phillips Lovecraft
Illustrateur : Olivier Subra
Editeur : Magellan & Cie (juin 2020)
Collection : Sfumato
Format : 17×24
ISBN : 978-2350745589
244 pages
Année : 1931
Pays : Etats-Unis
Titre original : Mountains of madness
Traducteur : Jacques Papy et Simone Lamblin (1954)
Chroniqueur : Julien Amic
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Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic…