Tolkien et les sciences n’est pas un roman mais un essai co-écrit par 42 auteurs et illustrateurs, sous la direction de Roland Lehoucq, Loïc Mangin et Jean-Sébastien Steyer, avec pour illustrateur principal Arnaud Rafaelian, et édité chez Belin / Humanis en octobre 2019.
Il s’agit d’une nouvelle pierre à l’édifice de la « tolkienologie ». Il y est question de scienceS avec un gros « S », puisque l’oeuvre de l’inventeur de la Terre du Milieu bénéficie non seulement de l’éclairage de nombreux experts quand à sa genèse dans l’esprit et sous la plume de J.R.R. Tolkien, mais sert également de support (que dis-je, de piédestal!) à un passionnant ouvrage de vulgarisation et de connaissances scientifiques, depuis la philosophie antique jusqu’à la climatologie moderne.
« En avant, Eorlingas ! »
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Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic…
Un extrait de « Tolkien et les sciences » …
« (…) le mithril présente la ductilité du cuivre, la conductivité thermique de l’argent, la dureté des meilleurs aciers, la légèreté du titane ou de l’aluminium, la beauté du platine et le prix de l’osmium ou du lutétium… bref, le mithril est un condensé de tous ces éléments réunis, sans équivalent réel, même si l’American Chemical Society a nommé mithril un alliage yttrium-argent. »
(Jean-Marc Joubert et jean-Claude Crivello)
Présentation de Tolkien et les sciences
le Feu Secret et la flamme d’Udûn ?
Tolkien semble devenir de plus en plus célèbre et mythique chaque jour… Et pour cause ! Ce qui fait la force d’un univers légendaire, d’une mythologie, c’est sa cohérence, sa richesse. Tolkien, professeur érudit de la prestigieuse Université d’Oxford, avait pour ambition de créer de toutes pièces une « mythologie Anglaise ». « Le Seigneur des Anneaux » n’est donc pas seulement un récit de fiction, mais c’est l’histoire du tournant le plus décisif de l’histoire d’un monde légendaire bien vaste et qui ne se limite pas aux Terres du Milieu et à la Comté de Frodon et Bilbon…
Avec « Tolkien et les sciences« , 38 experts scientifiques de disciplines aussi variées que l’astrophysique, la paléontologie ou la psychanalyse, la médecine ou la botanique, la climatologie ou la géomorphologie, etc, se penchent sur cet univers, à travers les différents écrits de l’auteur. Le tout rehaussé des superbes illustrations d’Arnaud Rafaelian, bien connu des lecteurs de la revue d’histoire naturelle « ESpèces » dont je vous recommande vivement la lecture d’ailleurs.
La crédibilité scientifique d’une oeuvre est ce qui la rend grandiose et fascinante. C’est aussi tout l’art de la science fiction que d’inventer des univers scientifiquement documentés. Cela pourrait sembler moins évident avec la Fantasy de Tolkien et pourtant…
On serait tenté il est vrai de dire que les sciences et la littérature « féérique » de Tolkien sont aussi incompatibles de le Feu Secret de Gandalf le Blanc (enfin le Gris, il n’est pas encore blanc lorsqu’il s’adresse au Balrog de la Moria…), aussi dénommé « flamme d’Anor » et le Feu Sombre du Balrog, la flamme d’Udûn…
Alors je vous le dis tout de go, si vous êtes réfractaire aux sciences et souhaitez rester bien confortablement installé dans votre platonique caverne, ne continuez-pas cette lecture : « repartez dans l’ombre, vous ne passerez pas ! »
En revanche, si votre curiosité n’a d’égale que celle de quelque Hobbit du bourg de Touque, voici une nouvelle approche de l’oeuvre du maître, passionnante pour les amateurs de Tolkien autant que pour les scientifiques amateurs de littératures imaginaires. Un ouvrage « préciiiiiiiiieux » dirait Gollum…
Un livre pour les gouverner tous, un livre pour les trouver et dans les ténèbres les lier au pays de la science où s’étendent les nombres …
(Votre serviteur, mais pas celui de l’Anneau…? √∞)
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Les hobbits existent vraiment, et Gollum aussi
« Tolkien et les sciences » ou bien « Les sciences et Tolkien » ?
La première fois que j’ai vu ce livre, lors de sa parution, j’ai lu le titre un peu vite. J’ai lu « Tolkien et la science« . Ce qui d’ailleurs m’a un peu rebuté, car un titre pareil aurait signifié à peu de choses près « Est-ce que l’univers et les créatures du Seigneur des Anneaux ont un fondement scientifique« , ou plus simplement « Tolkien c’est n’importe quoi, les dragons ça n’existe pas » !
En réalité, relisant bien je me suis aperçu que le titre était effectivement en réalité « Tolkien et leS scienceS« . Avec des gros « S« .
Et cela fait une différence capitale. Tolkien devient là le support à un ouvrage de découverte des sciences (je n’aime pas trop le terme de « vulgarisation » scientifique… La science serait-elle vulgaire ?), où il ne s’agit pas de démonter un mythe mais bien plutôt d’en tirer la subscientifique moëlle (si j’ose le jeu de mots…).
Ainsi donc, voici une liste non exhaustive des domaines abordés : paléontologie, biologie végétale, archéologie protohistorique, entomologie, chimie, spéléologie, ornithologie, géomorphologie, ethnominéralogie, climatologie, anthropologie, cryptozoologie, volcanologie…
Osez me dire que vous ne venez pas à l’instant d’apprendre l’existence d’au moins une science qui vous était inconnue !!!
Tout ceci gravitant autour d’une autre science plus qu’étroitement liée à la Terre du Milieu : la tolkienologie…
Jetons un oeil sur quelques-uns des éléments de ce livre :
On y apprend par exemple que Tolkien avait une sainte horreur du modernisme et de la mécanisation du monde. Assurément, c’était un naturaliste au sens contemplatif du terme, puisqu’il aimait à se comparer lui-même à un Hobbit. Tolkien et les sciences nous permet de mieux comprendre la manière dont l’auteur du Seigneur des Anneaux à imaginé et méthodiquement créé un univers ou, en quelque sorte, la verdoyante Comté est opposée philosophique à la contrée noire et désolée du Mordor, allégorie d’une révolution industrielle ennemie de la nature.
« Tolkien rapproche la technique et la machine de la sorcellerie, le goût du pouvoir associé à la magie amenant rapidement à la« machine ». Un monde de coopération entre l’homme et son environnement lui siérait probablement mieux. »
ThierryRogel
Il est également tout a fait fascinant, à la lecture de ce livre, de se rendre compte de l’étendue du savoir multisciences de J.R.R. Tolkien ! Naturaliste contemplatif certes, mais scientifique dans l’âme avant tout. Pas par vanité, par une volonté d’accumulation de connaissances, mais par émerveillement sans doute devant la complexe beauté du monde.
Bien sûr, l’oeuvre de Tolkien est riche références mythologiques, et notre ouvrage traite abondamment de tous les emprunts de Tolkien aux mythologies germaniques et scandinaves (essentiellement, mais les autres ne sont pas oubliées). Il est aussi riche en symboles, qu’ils soient positifs ou négatifs, tout en étant rarement purement manichéens, car Tolkien comme on l’apprend ici aimait nuancer ses personnages.
« L’Anneau de pouvoir est l’ombre du désir de chacun, le souvenir de rêves infantiles avortés dans les brumes de l’éducation et de la tragédie oedipienne. Tel est le pouvoir du corrupteur que d’éveiller chez les mortels des fantasmes de toute-puissance ainsi que le fol espoir d’échapper un jour à leur funeste destin. »
Thierry Jandrok
Tolkien et les sciences s’attache très longuement à étudier l’écologie de cet univers, s’attardant sur les climats décrits et nous apprenant au passage comment l’effet de foehn rend impossible l’existence d’une forêt sous le vent des chaines de montagnes, ou comment il est possible qu’un lac génère des rivières sans être lui même issu d’un fleuve.
« Au nord de la Comté, le lac d’Evendim est peu commun, car au lieu d’être alimenté par des cours d’eau, il donne naissance à un fleuve nommé Brandevin par les hobbits à cause de la couleur de ses eaux brunâtres : ceci trahit un lac de résurgence karstique comme c’est le cas du lac Ranco, au Chili, qui donne naissance à des fleuves côtiers. »
Stephen Giner
Des hobbits aux Nazgûl, en passant par les ents et les crébains, la zoologie n’est pas en reste, et les toutes les questions que l’on se pose (ou presque) trouvent une réponse ou à tout le moins un éclairage nouveau.
« Pourquoi les hobbits ont-ils des gros pieds poilus ? »
Jean-SébastienSteyer
De manière totalement assumée, on étudie finalement les récits de fiction de Tolkien comme on étudie les mythologies antiques, c’est à dire en partant du principe que tout mythe a une origine bien réelle. Bien sûr sans être dupe, car il s’agit avant tout d’une manière ludique d’évoquer parfois certaines avancées récentes de la science.
« Homo floresiensis est un surprenant homme fossile découvert en 2003 sur l’île de Florès en Indonésie. (…) Avec sa taille réduite et ses pieds proportionnellement plats et allongés, il a été surnommé… le Hobbit : si la science inspire souvent la fiction, la réciproque est aussi vrai ! »
Jean-Sébastien Steyer
Car il est un fait que, si Tolkien ne plaçait pas de barrière absolue semble t-il entre la féérie et la science, les deux pouvant coexister sans nécessairement s’opposer (ceci est développé d’ailleurs de manière passionnante dans le livre), son oeuvre a eu un tel impact sur ses lecteurs et, au final, sur toute une partie de notre société occidentale, que ce sont finalement aujourd’hui les scientifiques eux-mêmes qui font référence à Tolkien, et non l’inverse !
« (…) on peut faire du « terrianisme » en tolkienologie! Le terrianisme consisterait à utiliser les caractéristiques connues dans notre monde de certains éléments présents aussi dans les oeuvres de Tolkien, pour en déduire des caractéristiques du monde tolkienien. »
AntoineLouchart
Alors, pour le plaisir, voici par exemple ce que l’on peut lire sur dans un chapitre traitant des oliphants :
« Les Proboscidiens sont apparus il y a environ 60 millions d’années et on en connaît plus de 170 espèces dont la quasi-totalité se sont éteintes. Puisque les oliphants ne sont pas strictement des éléphants, Tolkien s’est-il inspiré des espèces fossiles de Proboscidiens ? »
Arnaud Varennes-Schmitt
Et ce qui me permet de dire que oui, ce sont bien dorénavant les scientifiques qui font référence à Tolkien :
« La palme revient au petit Protoure (un Hexapode proche des Insectes) Gollumjapyx smeagol, cavernicole, en partie translucide et avec une tête sphérique, décrit par Sendra et Ortuno en 2015. »
Romain Garrouste
Je n’irai pas plus loin dans la description du contenu de Tolkien et les sciences, ouvrage qui laisse aussi une (très) grande place à la linguistique au sens large, et vous comprendrez pourquoi en le lisant.
Tolkien avait la volonté de créer une chose qui n’existait pas, une mythologie anglaise. Or une mythologie est une somme de connaissances, une culture venue du fond des âges et transmise de génération en génération au fil des siècles et des millénaires. Le Seigneur des Anneaux est censé se dérouler il y a quelques 6000 ans. Il a pourtant été publié en 1954-55. Et il est malgré tout déjà présent dans l’inconscient collectif, suffisamment pour que ses créatures soient utilisées pour nommer de nouvelles espèces animales ou végétales… On fait référence aux hobbits de Tolkien comme à l’hydre des mythologies grecques.
Le terme de fantasy, voire d’ heroïc-fantasy qui désigne le genre littéraire dans lequel on classe habituellement Tolkien me semble bien futile. Tolkien n’a pas écrit de romans. Tolkien a créé une mythologie, à l’instar de Lovecraft et d’autres. Mais il est bel et bien le seul à avoir réussi à la rendre tout aussi réelle et « crédible » que les mythologies « traditionnelles ».
Un tel exploit méritait vraiment qu’un livre soit réalisé pour accorder aux écrits de Tolkien une place bien méritée dans le monde des sciences.
« (…) c’est essentiellement une leçon de sagesse que propose cette épopée britannique. Tolkien désirait créer un mythe anglais, un récit qui s’imprime dans l’esprit des ses contemporains comme l’Iliade et l’Odyssée. »
Thierry Jandrok
Another brick in the troll
« All in all it’s just … »
Tolkien et les sciences est un ouvrage qui, en apparence, tente de mettre en lien la pensée féérique de Tolkien et le rationalisme de la science. Ce n’est toutefois qu’une apparence, car en réalité, dès l’introduction du livre les choses sont claires. Il n’est pas question ici de tenter de confirmer ou d’infirmer de manière pompeuse et condescendante la crédibilité scientifique de la mythologie de Tolkien. Ce serait affreusement facile que d’expliquer que les dragons n’existent pas car aucun animal cracheur de feu n’a jamais foulé notre bonne vieille terre.
Comme je l’ai dit plus haut, John Ronald Reuel Tolkien, professeur de littérature anglaise, spécialisé dans la philologie scandinave, avait pour ambition de créer un mythologie anglaise lorsqu’il créa l’univers dans lequel se déroulent le Seigneur des Anneaux, le Silmarillion et autres Contes et légendes Inachevés. Il était lui-même un scientifique, ce qui ne l’empêchait pas de s’autoriser une affection toute particulière pour les mythologies celtique, scandinaves et germaniques (et bien d’autres encore).
« Comme je l’ai montré, tout ce qui tire mon histoire vers le style du « conte de fée » à la française me déplaît fortement. Mais tout ce qui vise à le « scientifiser » (…) me déplaît tout autant »
J.R.R. Tolkien
Loin d’être une énième opération marketing destinée aux fans de Tolkien et des adaptations cinématographiques de Peter Jackson, Tolkien et les sciences est une nouvelle pierre à l’édifice de la connaissance.
Ainsi, Tolkien et les sciences part d’un constat très simple : le monde créé par Tolkien est d’une grande cohérence. Et ce qui lui confère ce caractère, c’est peut-être le fait que ce monde de magiciens, dragons et autres personnes de petite taille aux pieds velus, n’est pas si farfelu qu’il n’y parait.
Ce sont finalement les connaissances scientifiques de Tolkien qui sont passées en revue, et loin de n’être qu’une biographie spécialisée, Tolkien et les sciences va beaucoup plus loin, en se servant subtilement de l’oeuvre du maître incontesté de la fantasy pour nous amener à un ouvrage de découverte des sciences à la fois ludique et rigoureux. Et ceci, sans jamais briser le mythe !
« qui brise quelque chose pour découvrir ce que c’est a quitté la voie de la sagesse »
Gandalf
Une lecture vivement conseillée donc ??…
Faites-moi part de vos avis en commentaire, si le coeur vous en dit.
Direction : Lehoucq, Mangin, Steyer
Auteurs : Collectif (cf. liste ci-dessous)
Illustrateur : Arnaud Rafaelian
Éditeur : Belin / Humensis
Format : 21,3×27,3
ISBN : 978-2410000757
400 pages
Parution : octobre 2019
Pays : France
Chroniqueur : Julien Amic
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Les auteurs de « Tolkien et les sciences »:
Direction éditoriale : Roland Lehoucq (astrophysicien), Loïc Mangin (Journaliste, écrivain), Jean-Sébastien Steyer (Paléontologue)
Auteurs et leurs spécialités : Christine Argot et Luc Vivès (paléontologie, anatomie comparée) Damien Bador (aéronautique), Jérémie Bardin (paléontologue), Élodie Boucheron-Dubuisson (biologie végétale), Cécile Breton (archéologie protohistorique), Jean-Philippe Colin (sciences du vivant), Bruno Corbara (insectes sociaux et écosystèmes aquatiques), Jean-Claude Crivello (chimie), Sylvie Delaire (Médecine vétérinaire, spéléologie), Sidney Delgado (biologie animale, évolution), Virginie Delgado-Bréüs (linguistique), Michaël Devaux (philosophie), Jean-Yves Dubuisson (histoire du vivant), Vincent Dupret (paléontologie), Camille Garrouste (arts appliqués), Romain Garrouste (entomologie), Stephen Giner (géomorphologie), Erik Gonthier (ethnominéralogie), Benoit Grison (sociologie des sciences), Romaric Hainez (biologie), Thierry Jandrok (psychologie), jean-Marc Joubert (sciences des matériaux), Stephane Jouve (paléontologie), Isabelle Kruta (paléontologie), Antoine Louchart (paléontologie), Dan Lunt (climatologie), François Marchal (anthropologie), Cécile Michaux (arts vivants), Isabelle Pantin (littérature), Luc Perino (médecine), Thierry Rogel (sciences sociales), Stéphane Sarrade (chimie), Laurent Stieltjes (volcanologie), Vivien Stocker (tolkienologie), Arnaud Varennes-Schmitt (paléontologie)
Illustrateurs : Arnaud Rafaelian, et aussi Diane Rottner, Robert Altbauer, Dan Lunt, Jean-Yves Dubuisson
? Je remercie chaleureusement les éditions Belin / Humensis qui m’ont gracieusement fourni un exemplaire du livre.
Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic…