Le Congrès de futurologie - Stanislas Lem - Actes Sud - Julien Amic - les-carnets-dystopiques.fr
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Le congrès de futurologie

Le Congrès de futurologie est un des grands classiques de la SF, écrit par Stanislas lem en 1971 et dont la dernière réédition est disponible depuis octobre 2021 chez les éditions Actes Sud – Babel.
Le monde se délite et les futurologues réunis dans un 8ème congrès international ont fort à faire. Crises en tous genres, soulèvements populaires et usage de gaz psychotropes pour contrôler la foule… Voilà qui va entraîner Ijon Tichy loin, très loin, dans un futur utopico-dystopique hallucinant où la psychimie et la prévistoire règnent en maître.
Ne lire ce livre que si vous vous êtes en pleine possession de vos facultés cognitives…

➡️ Acheter et lire « Le Congrès de futurologie » – Stanislas Lem – 7,20€

Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic

 

Un extrait de « Le Congrès de futurologie » …

 

« Un bottinateur est un automate cireur de bottes ; un sabottinateur, la même lorsqu’il fait un sabotage ; et un ordinateur enragé, c’est un computhérium. Les collusions entre machines s’appellent des cybordages et des robatailles. Et que dire de l’électrotisme ! Succubateurs, concubinateurs, incubateurs ; il y a aussi les hydrobots (robots sous-marins), et enfin les motomates ou bordinateurs (robots de voyage), les homignons (ou androïdes), les lambinaires[…] L’histoire de l’intellectronique note la synthèse des synsectes (insectes artificiels) qui, en tant qu’automites par exemple, faisaient partie de l’arsenal de guerre. Un cyberlope ou un infiltrat c’est un robot qui se fait passer pour un homme en « s’infiltrant » dans la société. Un vieux robot jeté à la rue par son propriétaire est malheureusement un phénomène fréquent. On les appelle des moribots. »

 

 

Teaser : « Le Congrès de futurologie »

Un teaser pour vous donner envie…

(Si vous souhaitez en savoir le moins possible sur le livre, lisez seulement cette partie)

 

Ijon Tichy est invité à participer au 8e Congrès de futurologie au Hilton de Costaricana. Mais le monde se délite dangereusement, et la guerre civile menace alors que le Consul des États-Unis est enlevé. Pour contrôler les immenses mouvements de foule qui commencent à dégénérer, l’on pulvérise sur la ville de grandes quantités de gaz psychotropes.

Tentant d’échapper au chaos, les scientifiques du Congrès se voient contraint de fuir dans les égouts de la ville, pensant y être protégés des émeutiers autant que des vapeurs hallucinatoires ; mais le gaz s’infiltre partout, et les hommes luttent pour conserver leur lucidité dans ce boyau nauséabond désormais peuplé de rats turbulents et de visions éphémères.

Enfin, les sauveteurs arrivent pour sortir Tichy et ses acolytes de l’angoissante fange subterranéenne, mais quelque chose ne se passe pas comme prévu. Mais alors pas du tout comme prévu…

« Les rêves finissent toujours par vaincre la réalité si on leur en donne l’occasion. »

 

➡️ Acheter et lire « Le Congrès de futurologie » – Stanislas Lem – 7,20€

(La suite, sans révéler l’intrigue ni le dénouement, dévoile certaines parties du récit. Pour lire seulement l’analyse vous pouvez vous rendre directement ici )

 

Futurologie hallucinatoire

L’histoire en profondeur, mais sans tout dévoiler

 

« … vers l’avenir insondable.« 

Le professeur Ijon Tichy, futurologue, fait partie de ces scientifiques qui travaillent à l’avenir du monde. Comment pérenniser une société viable sur une planète en proie à une démographie galopante engendrant toutes les crises imaginables ? C’est bien là l’objet des journées de discussions organisées cette année au Hilton de Costaricana.

« Le premier point concernait la catastrophe mondiale urbaine, le second la catastrophe écologique, le troisième l’atmosphérique, le quatrième l’énergétique et le cinquième la nutritionnelle. Après quoi l’on ferait une pause. »

Lorsque le Consul des États-Unis disparait, tout bascule. Cet évènement déclencheur n’est qu’un prélude aux soulèvement populaires qui n’attendaient qu’un prétexte pour se muer en insurrection.
Alors pour contrôler la foule, le gouvernement fait appel à l’usage de gaz psychoactifs, supercarésine et autre félicitol…

Nulle autre solution pour les savants que de se réfugier dans l’immondice des bas-fonds où croupissent les rats et les déjections en tous genres d’une cité en proie à l’agitation la plus intense. Mais les vapeurs parviennent même jusque là et bientôt les rats dansent et les esprits tournoient dans un halo diffus de visions hallucinées.
Pris au piège dans leur sous-sol, ils attendent la venue des secours et lorsque ceux-ci les extirpent enfin de leur abri, c’est sous les bombardements et à travers les incendies que l’hélicoptère de sauvetage s’envole… puis s’écrase.

Tichy ne se réveillera pas. Pas tout de suite en tous cas, mais 40 années plus tard, en 2039. Le monde aura bien changé alors, et il se sera rasséréné, grâce à l’avènement du désarmement universel.
À moins, à moins… voyons… comment savoir si c’est encore une hallucination ?

« Je suis un chou-fleur hivernal sous les rayons du soleil » 

 

Stanislas Dick & Philip K. Lem

« Le Congrès de futurologie » décortiqué

 

« Si l’on ne peut modifier la réalité, il faut la masquer »

Voulez-vous réaliser une expérience de science-fiction amusante ? À l’image de la chimie amusante de Gaston Lagaffe, la tentative aboutira nécessairement à une catastrophe et à une inévitable explosion méningée. Il suffit pour cela de lire successivement Ubik de Philip K. Dick, Le Congrès de futurologie de Stanislas Lem, puis Arnaque & Cie du même Philip K. Dick. Laissez macérer quelques semaines puis tentez de rédiger une chronique de lecture sans mélanger les péripéties hallucinatoires de ces trois ouvrages. Vous vous trouverez alors dans la position que j’occupe à l’instant même, tentant de remettre en ordre les images assez similaires que ces différents livres ont gravé dans mon esprit.

Car Le Congrès de futurologie est en ovni, aussi bien dans le domaine de la littérature SF que dans l’oeuvre littéraire de Stanislas Lem. On est ici très loin de Solaris !

« les savants se divisent aujourd’hui en deux catégories : les stationnaires et les ambulants. Les savants stationnaires s’adonnent comme autrefois à diverses recherches, tandis que les ambulants participent à toutes sortes de conférences et congrès internationaux. »

Le roman place d’emblée le lecteur dans un « futur » dystopique, à la fin du 20e siècle. La surpopulation est alors corrélée à des crises environnementale, sanitaire, énergétique et sociale. Certes, en lisant cela en 2023 on se dit qu’il n’y a rien là qui puisse relever de la science fiction… Après tout nous vivons nous aussi une crise environnementale et énergétique, et nous sortons (plus ou moins) d’une grave crise sanitaire dans un monde surpeuplé en proie à de multiples conflits militaires et/ou sociaux.
Mais S. Lem a écrit ce texte en 1971, année ou le « Club de Rome » se réunissait et exposait en colloque ce qui sera publié un an plus tard sous le nom de « Rapport Meadows » (lire à ce sujet la chronique de Vent d’est , vent d’ouest ). Le Congrès de futurologie est dès lors un récit d’anticipation, du moins dans sa courte première partie.

« Averroès, Kant, Socrate, Newton, Voltaire pouvaient-ils se douter qu’au XXe siècle le fléau des villes, le poison des poumons, le meurtrier universel, l’objet du culte suprême serait un chariot de tôle monté sur roues, et que les gens préfèreraient périr broyés à l’intérieur au court des départs massifs du week-end plutôt que de rester chez eux sains et saufs ? »

Dans le monde de Lem, la psychimie occupe une place primordiale. Cette science utilise la pharmacologie, et plus particulièrement les substances psychotropes, pour créer des armes chimiques, sortes de gaz de combat d’un nouveau genre. On ne les utilise pas pour tuer, mais pour contrôler les populations.

« La pharmacocratie possède sa face visible et sa face cachée. La première repose sur la seconde. »

C’est cette société de contrôle dystopique qui est au coeur du récit, et du récit dans le récit, ainsi que du récit dans le récit dans le récit (je ne veux pas vraiment en dévoiler plus hein…). En générant des réalités alternatives, que je me risquerai à qualifier de réalités hallucinées, elle crée la confusion chez le narrateur comme chez le lecteur. Si les illusions s’enchainent, reviennent en arrière puis progressent à nouveau, comment savoir à quel niveau de l’histoire la réalité à « réellement » cédé la place à l’hallucination ?

« […]je préférais mourir de froid sur un monceau d’ordures en connaissant la vérité, plutôt que de devoir la consolation à des fantasmes. »

Si Philip K. Dick est le maître du genre, Stanislas Lem signe ici un opus qui n’a pas à rougir de la comparaison et qui y apporte en plus quelques touches « Lemiesques » (ou « Lemiennes »… « Lemoïdes » ?). C’est notamment le cas d’un humour tordant, éparpillé au fil de multiples phrases dont la drôlerie n’a d’égale que la désinvolture apparente.

« Grâce à la transmutine, vous pouvez avoir une liaison avec une chèvre, tout en pensant que c’est la Vénus de Milo en personne. »

Lorsque la dystopie du départ cède la place à l’Utopie de 2039, l’auteur se lache franchement. Le personnage d’Ijon Tichy semble tout bonnement « halluciné » devant ce monde si radicalement différent de celui du Congrès. Maintenu en stase durant 40 ans, le temps d’être capable de le soigner et de le remettre sur pieds, il se réveille dans un univers qu’il doit réapprendre et comprendre. Quelques innovations technologiques imaginées par Lem, fascinantes et/ou saugrenues, valent leur pesant d’or…

« 30/07/2039. – C’est très simple : ils arrosent les pâturages avec un produit, et les rayons du soleil transforment l’herbe en fromage. »

Stanislas Lem s’approprie aussi le concept de novlangue, chère à Georges Orwell avant lui, ou à Alain Damasio après lui. Juste après lui d’un point du point de vue de l’histoire puisque Le Congrès de futurologie nous projette en 2039, alors que Les Furtifs de Damasio se déroule en… 2040 !

« Un éboueur électronique s’appelle un composteur ; un militaire de haut-rang un générateur. Un ordinateur campagnard : un chiffrouc ou un calculterreux. Un corruptinateur, c’est un ordinateur corruptible ; un antinateur (counterputer) est un solitaire, incapable de travailler avec les autres. »

Mais cette novlangue n’est pas un instrument de pouvoir destiné à annihiler toute pensée critique, comme chez Orwell, ni un jargon subversif comme chez Damasio. C’est ici une science prévisionnelle. L’analyse des néologismes potentiels permet d’établir une vision prospective du futur, et la futurologie est remplacée par la prévistoire. Ce concept, qui rappelle bien sûr la psychohistoire d’Isaac Asimov, en diffère radicalement en cela que, si la psychohistoire est une futurologie (prévoir le futur) mathématique, la prévistoire est une prospective (imaginer un futur potentiel) littéraire…

« Les futurologues font des profuts (ou pronostics), alors que moi je m’occupe de la partie théorique. C’est une méthode tout à fait nouvelle, encore inconnue de notre temps. On pourrait la définir comme la prévision du futur au moyen du langage. »

À ce sujet, le travail des traducteurs, qui date de 1976, est phénoménal. J’ai longtemps pensé qu’un livre comme Les furtifs de Damasio, plusieurs fois évoqué ici, était par essence intraduisible. Pourtant, bien qu’initialement rédigé en polonais, je constate que Le Congrès de futurologie est parfaitement cohérent, langagièrement parlant. Ainsi donc il est possible de traduire l’intraduisible ! Bravo donc à Anna Labedzka et à feu Dominique Sila.

Le Congrès de futurologie n’est pas vraiment une dystopie ni une utopie, c’est un ovni littéraire comme il y en a peu dans l’univers SF. À la manière d’un Philip K. Dick des grands jours, Stanislas Lem nous offrait en 1971 ce qui restera l’une des oeuvres majeures de la science fiction. La psychimie et la prévistoire mettent en scène un récit dont les certitudes s’autodétruisent page après page, ou l’auteur se plait à égarer ses personnages autant que ses lecteurs, jouant avec le langage et avec notre perception du réel. À lire absolument.

« Ce monde n’est qu’un cadavre, quoique fort bien conservé, car on parvient à le momifier avec de plus en plus d’habileté. »

Faites-moi part de vos avis en commentaire, si le coeur vous en dit.

 

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Le congrès de futurologie

Auteur : Stanislas Lem
Editeur : Actes Sud / Babel
Format : 11×18
ISBN : 978-2330155551
176 pages
Parution : 2021 (octobre)
Titre Original : Kongres futurologiczny ze wspomnien ljona tichego
Parution originale : 1971
Pays : Pologne
Traduction : Dominique Sila et Anna Labedzka
Chroniqueur : Julien Amic

 

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🙏 Je remercie chaleureusement les éditions Actes Sud qui m’ont gracieusement fourni un exemplaire du livre.

Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic

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