Borne - Jeff VanderMeer - Au Diable Vauvert - les-carnets-dystopiques.fr
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Borne

Borne est un roman de science fiction écrit par Jeff VanderMeer, et publié en octobre 2020 chez l’éditeur Au Diable Vauvert.
Dans la lignée de la précédente « trilogie du rempart Sud », l’auteur persiste et signe dans ce style étonnant qui associe la science fiction et le merveilleux, où la réflexion sur la relation de l’homme à la nature est toujours prépondérante. Le merveilleux est ici une sorte de transcendance de la science, dans cette oeuvre très riche ou il est question de ce qui fait une personne, de ce qui fait une « réalité », et des incompatibilités paradoxales des multiples dualités qui sont inhérentes à la psyché humaine…
Un récit à la fois terre à terre et vertigineux, un rendez-vous avec le monde d’après…

➡️ « Borne«  – Jeff VanderMeer – 22€

Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic

 

Un extrait de « Borne » …

 

« Autrefois, c’était différent. Autrefois, les gens avaient des foyers et des parents et ils allaient à l’école. Les villes faisaient partie de pays et ces pays avaient des dirigeants. On voyageait par loisir ou en quête d’aventure, pas pour survivre. (…) C’est incroyable comme un faux pas a pu se transformer en chute libre et une chute libre en un enfer au sein duquel nous avons continué à vivre tels des fantômes dans un monde hanté. »

 

 

Présentation de « Borne »

Un teaser pour vous donner envie…

(Si vous souhaitez en savoir le moins possible sur le livre, lisez seulement cette partie)

 

Borne, c’est le nom de quelque chose. Quelque chose de vivant, mais qui ne ressemble à rien de connu. Quelque chose de synthétique ou d’organique, ou les deux à la fois.

« Qu’est-ce que ce n’est pas ? Voilà la première question (…). »

Dans un monde retombé dans la sauvagerie de l’anarchie la plus totale, ravagé par une pollution mortifère, où les rivières sont toxiques et se jettent dans des océans dont il ne reste pas grand chose, les hommes, les femmes et les enfants qui divaguent en sont réduits à tenter de survivre, autant que faire ce peut. Rachel et Wick vivent dans les falaises à balcons, vestiges encore debout d’une civilisation déchue. Elle est une récupératrice et elle fouille dans les décombres de la ville, au pied des bâtiments de la Compagnie, pour dénicher ce qui peut encore servir. Lorsqu’elle ramène de la biotech, c’est Wick qui l’utilise, c’est sa spécialité.

Mais si Wick et Rachel sont experts en pièges et ont su rendre les falaises à balcons impénétrables par d’autres qu’eux, il y a là bas, dans la ville, deux forces qui s’affrontent pour le contrôle des territoires. Il y a celle qu’on appelle la Magicienne, et avec elle une armée d’enfants modifiés aussi impitoyables que dangereusement sanguinaires et sadiques. Et puis surtout, il y a Mord.

« En dehors de Mord, des pluies toxiques et de l’éventuelle biotech au rebut susceptible de provoquer mort ou gène, les jeunes étaient souvent la force la plus effroyable en ville. Rien dans leur regard ne pouvait vous indiquer qu’ils étaient humains. Ils n’avaient de l’ancien monde aucun souvenir servant de point d’ancrage, de leçon d’humilité ou d’inspiration. »

Mord. Fantastique création, ours gigantesque plus haut qu’un immeuble, source de destructions d’une puissance incommensurable. Et avec lui une quantité effroyable d’émissaires, des ours ravageurs aux griffes empoisonnées.

Un Enfer.

Survivre est le seul but que l’on peut avoir dans cette vie de luttes. Et c’est dans ce monde devenu incompréhensible que Rachel trouve quelque chose. Un objet vivant, qui ne ressemble à rien de connu, à rien de possible. Elle l’appelle Borne.

Borne va grandir, Borne va apprendre. Borne va se nourrir, et il va commencer à se questionner sur le monde qui l’entoure, sur lui-même. Ses capacités vont s’accroître jusqu’à faire de lui peut-être un monstre ? Mais qu’est-ce qu’un monstre ? Qu’est-ce qui fait de nous ce que nous sommes ? Et à la fin, qui serons nous ?

« Savais-tu que la Compagnie a créé des abominations bien pires que Mord, Rachel ? »

 

➡️ Acheter et lire « Borne » – Jeff VanderMeer – 22€

(La suite, sans révéler l’intrigue ni le dénouement, dévoile certaines parties du récit. Pour lire seulement l’analyse vous pouvez vous rendre directement ici )

 

La Compagnie, la biotech et le vol de l’Ours…

L’histoire en détails 

 

La ville n’est qu’un tas d’immeubles en ruines, infesté de pièges destinés à transformer TOUT ce qui vit en viande. Dans les décombres errent les récupérateurs, à la recherche de choses comestibles et de tout ce qui peut prolonger leur espérance de vie. Rachel est plutôt douée pour cela, et elle a un accord avec Wick : si elle trouve de la biotech, elle doit la lui ramener.

La biotech, ce sont des choses vivantes, meurtrières ou salvatrices, de formes et d’utilité différentes, fabriquées par la Compagnie. Le bâtiment de celle-ci trône non loin, et à l’intérieur sont retranchés, sans doute, les quelques malheureux employés encore en vie. Certaines de ses créations monstrueuses ne sont plus, mais beaucoup sont toujours là. En fait, presque tout ce qui est encore vivant dans la « nature » est de la biotech.

« Ce poisson monstrueux avait été conçu pour faire appliquer la loi, contrôler les foules, distiller la peur et peut-être tuer. »

La création la plus effroyable règne sur une partie de la ville. Il s’agit de Mord, un ours d’une taille gigantesque, et qu’une technologie inconnue rend capable… de voler ! Une horreur velue d’une puissance inimaginable qui fait de lui une quasi-divinité, un mastodonte biotech devenu objet de culte pour ceux qui ont perdu l’esprit et préfèrent le vénérer plutôt que de le craindre. Mord à ses disciples que l’on nomme les émissaires. Des êtres qui ressemblent à des ours eux aussi, mais avec des comportements d’une violence inouïe. Ils luttent pour la suprématie de Mord et tentent de regagner les territoires tenus par la Magicienne.

Rachel a recueilli un petit être multicolore, qui a une forme curieuse, entre un vase et un calmar. Une plante ou un animal ? Elle le ramène aux falaises à balcons, où il suscite la méfiance de Wick, et elle le nomme Borne.
Elle l’élève comme un enfant, et il apprend. Et il grandit. Elle voit petit à petit le monde qui l’entoure d’une manière nouvelle, à travers les innombrables yeux de Borne.

« Parce que (Borne) ne voyait pas le monde de la même manière que moi. Il ne voyait pas les pièges. Parce qu’il m’obligeait à reconsidérer jusqu’à des mots aussi simples que « dégoûtant » et « magnifique ». « 

Mais on ne peut pas se cacher éternellement, et on ne peut pas éternellement échapper à son destin. Ni à son passé.
Rachel ne se souvient pas de cette période entre sa vie d’avant, avec ses parents, dans un monde bien différent de celui-ci, et sa vie d’après, faite d’errances dans cette ville décharnée. Que s’est-il passé ici ? Qui est véritablement Wick et quelles sont ses liens avec la Magicienne ? Quel est le rôle qu’a joué et que joue peut-être encore la Compagnie dans tout cela ?

Borne serait-il la clé ?

Qu’est-il arrivé au monde ?

Dehors, il y a Mord qui rugit, et ses émissaires lacèrent les corps des survivants, des récupérateurs, et des enfants maudits de la Magicienne. Ils communiquent entre eux par des grognements modulés, ils se parlent. Ce ne sont pas des ours…
Une chose se produit soudain : Mord ne peut plus voler. Il entre dans une fureur nouvelle, et le fragile équilibre de ce monde dévasté vacille une dernière fois.

« Drrrrrk ! » 

 

Les dualités paradoxales

Analyse dystopique

 

« (…) qu’était un être humain, sans la mort ? »

Je préfère vous mettre tout de suite dans l’ambiance, Jeff VanderMeer est l’un de mes auteurs favoris ! Il s’attache à développer la psychologie de ses personnages, placés dans une situation post-apocalyptique, en développant l’influence de l’humanité sur le monde et la nature qu’il manipule et détruit. Borne est un fabuleux roman.

Le narrateur, c’est le personnage principal : Rachel. Elle se souvient de sa jeunesse mais ne sait plus comment elle a bien pu se retrouver ici. Elle a le souvenir d’une planète qui sombre, de pays qui s’effacent, d’une civilisation en déclin rapide. Mais on ne sait pas au juste ce qui est arrivé.
La question de la personnalité, de ce qui fait que l’on est qui l’on est, est au coeur du récit. Rachel a oublié une partie de sa vie, elle n’est donc pas en ce sens une personne « complète ».

« Nous voulons tous être simplement des personnes, sans qu’aucun de nous ne sache ce que ça veut vraiment dire. »

Il en va de même pour Borne, cet objet-animal-plante indéfinissable. Au départ à peine plus réactif qu’une plante verte, il apprend au contact de Rachel, comme un enfant auprès de sa mère. Inévitablement, il suit le cycle normal des choses, prend conscience de son existence, et commence à se questionner sur ses origines.

« Je viens d’une étoile lointaine.
Je viens de la Lune, comme les astronautes morts.(…)
Et si j’étais le seul ?
Et si je ne pouvais pas mourir ?
Et si personne ne m’avait fait ? »

Le récit met en avant un certain nombre de protagonistes, qui jouent chacun un rôle très fort et très symbolique.

Borne a du mal à saisir certains principes de dualité. Il ne parvient pas à comprendre où se situe la limite entre le bien et le mal, entre la vie et la mort. On peut le voir comme un symbole de la dualité humaine. Il nous renvoie en miroir l’image de l’absurdité manichéenne de notre civilisation, dans un monde ou tout n’est que mélanges subtils. Pour lui la mort n’existe pas. S’il tue et assimile sa proie, elle continue de vivre en lui, d’une certaine manière qu’il ne parvient pas à expliquer. C’est une allégorie du cycle perpétuel de la vie.

« Dans mon plus vieux souvenir, un lézard me crotte dessus, depuis, je déteste les lézards pour m’avoir gâché mon premier souvenir. Mais je les adore, aussi, parce qu’ils sont délicieux. »

La Compagnie n’est pas un individu, c’est plus une « personne morale », mais son rôle est primordial car si on ne sait jamais vraiment ce qui s’est passé, on sait qu’elle en est responsable. Elle est responsable du chaos de ce « monde d’après ». Elle est le symbole de la course à la technologie de l’humanité, que plus rien n’arrête, qui manipule la vie pour créer de la vie technologique, de la « biotech ». C’est d’ailleurs une des caractéristiques de la littérature de Jeff vanderMeer, puisqu’il ne se limite pas à évoquer le thème du transhumanisme, mais qu’il va plus loin en poussant le raisonnement jusqu’à ce qu’on pourrait appeler « transnaturalisme ». Et de créer des monstres dont on ne sait pas quel est leur degré d’animalité et quel est leur degré d’humanité. La Compagnie est une allégorie de la civilisation techonologique d’aujourd’hui, déchue demain par la perte de contrôle de ses propres créations. La Compagnie démiurge a créé le dieu Mord.

Mord est un « personnage » atypique. Il s’agit d’un ours géant… Mais il possède en plus la capacité de voler ! Ceci peut a priori paraître incongru dans un récit de science fiction. Et semble plus relever de la magie, et donc de la fantasy, ce qui semble être un premier temps confirmé par un autre personnage que nous verrons ensuite : la Magicienne. Pourtant il n’en est rien, car il s’agit bien d’une technologie qui lui permet de voler. Celle-ci nous restera inconnue et finira d’ailleurs par disparaître comme elle est venue, constituant l’un des grands tournants du récit. Jeff VanderMeer est comme çà, il n’explique pas tout et laisse toujours une part de mystère et d’incompréhension, ce qui confère à ses écrits un je ne sais quoi de merveilleux, jamais déçu ou altéré par une explication logique et trop terre à terre. C’est là que réside la vraie magie du livre : rendre la science incompréhensible et merveilleuse, pour ne pas dire fabuleuse. Un tour de force selon moi, qui permet aussi de justifier le flou qui émerge dans cet univers, où science et religion s’entremêlent lorsqu’il s’agit d’évoquer Mord.
Mord est la part sauvage de l’humanité. Violence, destruction, puissance, domination. Ses « émissaires » génocides tuent, lacèrent, empoisonnent, traquent et exterminent. Il symbolisent la dualité homme-animal, dans l’acception « sauvage et violente » du terme « animal » (le terme anglais « wild » convient mieux à cette définition). Il est la forme transcendentale du pouvoir destructeur de l’humanité.

La Magicienne est un être mystérieux dont on saura finalement peu de choses. Elle est un contrepoids à la sauvagerie de Mord, une humanité qui combat le mal par le mal, littéralement, et dont on comprendra que ce n’est pas une approche efficace…

Le personnage principal est Rachel, parce qu’elle fait le récit des évènements et que c’est donc à travers ses yeux, son point de vue, que l’on observe les évènements. À deux reprises elle interpelle directement le lecteur, et fait de celui-ci un acteur direct de l’histoire (à la manière d’un Michael Ende dans « l’Histoire sans fin » ?).

« Qu’auriez-vous fait, lecteurs, qui avez pu me suivre comme m’a suivie la Magicienne, invisibles, toujours vigilants et sans rien avoir à craindre ? »

Mais le vrai héros du roman, ce n’est pas le personnage principal. C’est Borne. Il évolue au fil du récit comme un être humain au fil du temps. En fait il évolue même comme l’humanité au fil des âges, en tout cas d’une manière très symbolique, celle que l’on se fait habituellement de l’Évolution en général. Au départ minuscule et inconscient de ce qu’il est, il acquiert le langage, la conscience de soi, la connaissance de l’Histoire, la découverte du bien et du mal, du combat pour la survie, la déception et la trahison, l’injustice, le désespoir et la révolte, la lutte contre le mal, et un Armageddon symbolique qui mène à un renouveau, un regain, à quelque chose qui pourrait faire penser au « Ravage » de René Barjavel. Borne est ce qui ressemble le moins à un humain, ce qui ressemble le moins à quoi que ce soit. Et il est pourtant tout ce qu’est l’Humanité, réuni en un seul être.

« Borne était en proie à la fausse puissance du remords, qui vous fait croire que la force de vos convictions, de vos émotions, vous permettra de tout arranger même quand vous en êtes incapable. »

Borne est un roman qui pose finalement deux grandes questions : d’abord, qu’est-ce qui fait de nous une personne ? Dans quelle mesure notre histoire, nos origines, les actes que nous accomplissons, nos buts et notre « destinée », créent notre personnalité.

« Et si mon malheur avait toujours eu comme origine mes souvenirs de bonheur ? »

Il questionne également le principe de réalité, à travers ce qui se trouve dans les bâtiments de la compagnie (je ne vous dirai pas quoi…). Qu’est-ce qui relève de l’illusion, qu’est-ce qui relève du réel, et quelle importance cela peut avoir ou ne pas avoir.

« Un étincelant récif d’étoiles, étalé et phosphorescent, chacune ayant peut-être de la vie sur elle, des planètes qui orbitaient autour d’elle. Il y avait peut-être même des gens comme nous, les yeux levés vers le ciel nocturne. »

Comme le dit si bien l’auteur, ou plutôt le narrateur : « Il y a dans ce récit si peu de choses compréhensibles ou crédibles pour n’importe qui d’autre en ville, et si peu que n’importe qui d’autre en ville ait besoin de comprendre.« …

Borne est un roman extraordinaire qui nous transporte dans un univers à la fois apocalyptique et merveilleux, énigmatique autant que technologique. Il pose les questions de la personnalité, du principe de réalité, de la responsabilité du monde d’aujourd’hui sur le devenir du monde d’après. Il réussit aussi une performance particulière, celle de faire du point de vue du lecteur l’un des personnages principaux de l’histoire. Jeff VanderMeer ne se contente pas de creuser la psychologie des personnages, il bouscule la psychologie du lecteur !

Je le conseille, le reconseille et le rereconseille !

« Rachel, il se passe quoi, quand on meurt ? On va où ?
(…) Nulle part. On va sous terre et on n’en ressort pas.
« 

 

Faites-moi part de vos avis en commentaire, si le coeur vous en dit.

 

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Borne

Auteur : Jeff VanderMeer
Editeur : Au Diable Vauvert
Format : 16×19,7
ISBN : 979-1030703665
480 pages
Parution : octobre 2020 (traduction)
Pays : États-Unis
Titre original : Borne (2017)
Traduction : Gilles Goullet
Chroniqueur : Julien Amic

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Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic

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