Deux Hommes Dans Les Confins - Robert Sheckley - Argyll - Julien Amic
Deux Hommes Dans Les Confins

Deux hommes dans les confins est un recueil de nouvelles, un fix-up rassemblant les 8 textes de l’auteur américain Robert Sheckley mettant en scène Les As de la Décontamination Planétaire. Publiées entre 1954 et 1986, elles bénéficient ici d’une traduction actualisée et homogénéisée parue aux éditions Argyll.
Partons dans les confins, à la rencontre de la plus délirante des SF de l’espace…

« Rêveusement, il se demanda où tout cela pourrait mener. Il se représenta alors un vaste hôpital pour machines. Deux robots-médecins poussent une tondeuse le long d’un corridor blanc. Le Robot-Médecin-Chef demande : « Quel est le problème ? » Et son aide de lui répondre : « Troubles de l’identité. Il s’imagine être un hélicoptère. » D’un air entendu, le médecin-chef commente : « Je vois. fantasmes de toute-puissance aérienne. Quel dommage, un p’tit gars si sympathique… » L’assistant hoche la tête et ajoute : « Le surmenage est responsable. Il s’est épuisé sur de l’herbe sauvage. » La tondeuse s’étire et lance soudain : « Maintenant, je suis un batteur électrique ! » Avant de se mettre à glousser. »
Robert Sheckley « Deux hommes dans les confins », éditions Argyll – 17,90€

Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic
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☆Teaser : « Deux hommes dans les confins »

Un teaser pour vous donner envie…


AAA Les As de la Décontamination planétaire
. Pourquoi AAA ? Pour figurer en premier dans le listing des décontamineurs de l’annuaire… Arnold et Gregor se sont lancés dans ce business là pour y faire fortune, ont investi toutes leurs économies, potassé tous les bouquins théoriques traitant des désagréments susceptibles d’apparaitre sur les planètes extérieures, ont acheté un vaisseau et tout un tas d’ustensiles utiles à leur métier, puis se sont installés dans un bureau, en attendant le client.

« Nous sommes en mesure, je pense, de vous fournir toute l’aide dont vous avez besoin, reprit Gregor avec entrain. Contrôle de la faune ou de la flore, purification d’atmosphère, stérilisation des sols, tests de stabilisation, régulation de l’activité volcanique et sismique – tout ce qu’il faut pour rendre une planète habitable à l’être humain. »

Mais AAA est une petite société qui ne fait pas le poids face aux mastodontes du secteur, et ceux qui s’adressent à eux sont fauchés, ou ont des problèmes si farfelus qu’aucune autre entreprise n’a accepté de s’occuper de leur cas. Ainsi Gregor et Arnold, couverts de dettes, acceptent-ils sans hésiter et avec enthousiasme (enfin, Arnold est enthousiaste, Gregor plutôt du genre dubitatif-suspicieux) tout et n’importe quoi : une planète hantée par un monstre de cauchemar, un convoyage de bétail improbable, une éradication de rats invisibles, de chats parlants ou… de choux télépathes !

Mais sauront-ils faire preuve de suffisamment de débrouillardise pour se sortir sans trop de dommages de situations inextricables ? Et la soif de profit et l’appât du gain  – et surtout d’un moyen de régler leurs dettes – ne risquent-ils pas de les entraîner au-delà des confins du raisonnable ?

« Chaque once de cette poudre ne nous a rien coûté. C’est gratuit, je te dis ! Gratuit, gratuit, gratuit ! »

 

Who ya gonna call ?

Chronique analytique…

« La libre entreprise, le goût de la compétition… j’y crois très fort ! »

Deux hommes dans les confins est donc un fix-up, autrement dit une compilation de nouvelles issues d’une série publiée de manière non linéaire, remises en ordre et homogénéisées ici par une traduction qui leur rend plus de cohérence. Pour le dire autrement, une intégrale « propre ». Ceci étant posé, voyons voir de quoi il retourne…

En premier lieu, il convient de préciser – ce que fait magnifiquement le regretté Philippe Curval dans le texte posé en préface – que Robert Sheckley fut un auteur de SF spécialisé dans ce que je qualifierai de soft science, c’est à dire quelque chose que l’on pourrait placer à l’opposé de la hard science. Ne cherchez donc pas une cohérence mathématique ou un postulat physico-quantique à la Greg Egan, vous n’en trouverez pas. Comme le suggèrent très justement P. Curval et Léo Dhayer – (re)traducteur du présent ouvrage et auteur de la postface – R. Sheckley penchait davantage vers la fiction que vers la science. Ceci est confirmé par l’addendum post-post-facique Entretien avec Robert Sheckley, toujours de P. Curval, ainsi que par la post-post-postface « Notes sur l’écriture » rédigée par l’auteur lui-même en 1984. Cette dernière m’a paru tout à fait correspondre à mon état d’esprit lors de la lecture du livre ; lorsque je lis un ouvrage de SF, j’essaie toujours de distinguer, de noter, tout ce qui me semble pertinent pour parler de l’époque passée, du présent, et du futur éventuel, de nos sociétés et de leur état d’esprit, de notre vision du monde, de l’humanité, de l’univers enfin. Mais à la lecture de Deux hommes dans les confins, hé bien… je ne trouvais absolument rien à dire ! Et pour cause, l’auteur nous le dit carrément en introduction de sa bafouille :

« Il est rigoureusement impossible de dire quoi que ce soit de l’écriture. En fait, il est presque impossible de dire quoi que ce soit en général. Que pourrait-il y avoir à dire ? Les mots sont des choses traîtresses, insaisissables et à double tranchant. Le fait que je les utilise de temps en temps ne devrait pas être retenu contre moi. Des grognements conviendront tout aussi bien. »
Robert Sheckley ,1984

De quoi donner envie à un chroniqueur des mondes imaginaires de changer de métier… bref, Spectre 5, Une mission de tout repos, La Clé laxienne, Une invasion de slegs, Le Vieux Rafiot trop zélé, La Seule Chose indispensable, Le Château des Skags et Un Sarkanais peut en cacher un autre sont simplement des histoires, merveilleusement bien racontées par Robert Sheckley. Elles sont ce qu’elles sont, sans volonté cachée d’être autre chose que de simples histoires, et c’est très bien comme çà. C’est même terriblement distrayant et reposant dans ce genre littéraire qui, souvent, incite à l’introspection et aux réflexions métaphysiques. Les AAA permettent ainsi à tout lecteur de hard(ue) SF de faire une pause bien méritée et de s’en payer une bonne tranche. Car c’est cela la qualité principale et inattendue de Robert Sheckley : l’humour, le vrai, le décapant, le poilant, que dis-je, le désopilant (pas moins) !

À ce jour, le seul auteur que je connaisse et qui soit capable de me faire rire à chaque page se nommait Kenneth Cook, expert en récits absurdes relatant les catastrophiques péripéties d’un bras-cassé perdu dans le bush australien (lire Le koala tueur, L’ivresse du kangourou et La vengeance du wombat). Ici, les personnages de Gregor et Arnold, que Léo Dhayer compare à « un duo à la Laurel et Hardy, mais dont les caractéristiques physiques auraient été mixées et inversées » se donnent la réplique à la manière de Dan Aykroyd et Bill Murray dans le Ghostbusters de 1984 – je subodore même qu’Ivan Reitman fût un fervent adorateur du Meketrex de R. Sheckley et du cycle des As de la Décontamination Planétaire, car les ressemblances sont notoires, quant à Le Château des Skags, il semble tout droit sorti de l’esprit des scénaristes de la série Scoubidou (des fans eux aussi ?).

Ainsi donc les As en question se retrouvent-ils confrontés pêle-mêle à un spectre en forme de tas de vêtements sur une chaise, des moutons de l’espace velus – les queels – dont les poils bouchent les conduits d’aération du vaisseau qui les convoie et polluent les repas de Gregor (le fameux « sandwich jambon-laine« , j’en ri encore), un monstre-crocodile en costume barriolé, ou l’IA mal calibrée d’un canot de sauvetage tentant de leur sauver la vie bien malgré eux. Criblés de dettes et téméraires à souhait, ils se laissent aussi abuser par des concurrents machiavéliques, un antiquaire piégeux, ou quelques chats de l’espace génocidaires… Le dangereux enthousiasme d’Arnold et son positivisme n’ont d’égal que le fatalisme et la suspicion de Gregor, le tout étant saupoudré d’une bonne dose de malchance et… de débrouillardise. Rocambolesque, désopilant, parfois grotesque ou délirant… voilà des mots que l’on emploie habituellement peu pour décrire cette science fiction qui oublie parfois d’être amusante… Robert Sheckley y remédie fort bien.

Deux hommes dans les confins, c’est un recueil de 8 nouvelles évoquant un univers où le libéralisme d’entreprise spatial est mis à mal par l’absurdité de situations improbables. C’est sans doute l’un des ouvrages les plus inventifs et les plus drôles de toute l’histoire de la SF, une sorte de « traité de la science-fiction amusante », écrit avec un talent immense et une ingéniosité infinie. Huit tranches de bonheur à savourer ( en prenant soin d’ôter aux préalable les poils de queels ) !

« As-tu jamais entendu parler de foreuses automatiques qui ont peur des fantômes ? »

 

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☆ Caractéristiques du livre

Deux Hommes Dans Les Confins

Auteur : Robert Sheckley
Editeur : Argyll
Format : 15×21
ISBN : 978-2494665149
208 pages
Parution : 2024

Parution originale : 1954, 1955, 1956, 1971, 1986
Pays : États-Unis

Traduction : Léo Dhayer
Chroniqueur : Julien Amic

« Deux hommes dans les confins » – Argyll – 17,90€

 

Je remercie chaleureusement les éditions Argyll qui m’ont gracieusement fourni un exemplaire du livre.

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Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic

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2 pensées sur “Deux hommes dans les confins – Robert Sheckley”

  1. je recherchais il y a quelques jours les récits qui concernaient Arnold et Gregor dans mon exemplaire au CLA des « univers de Robert Sheckley » il y en a 3 je crois dont la fameuse « clé laxienne », mais quand vais je les lire, proche de Sheckley je vois aussi Raphael Aloysius Lafferty parfois, par contre ,indéchiffrable.

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