Celui qui hantait les ténèbres est un roman graphique réalisé par le japonais Gou Tanabe, et publié en 2021 chez les éditions Ki-oon.
Adaptation du chef d’oeuvre de Howard Phillips Lovecraft, il s’agit d’une transcription graphique de l’un des plus étranges récits écrits par le papa du grand Cthulhu…
Gou Tanabe termine ici une série consacrée à cet auteur (voir notamment les chroniques de « La couleur tombée du ciel » et « L’Appel de Cthulhu »), et qui fait honneur au maître de l’indicible.
Vous ne dormirez plus jamais en paix si vous le lisez alors… oserez-vous ?
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Une chronique imprudente rédigée par Julien Amic…
Un extrait de « Le cauchemar d’Innsmouth » …
« Il y a une zone dans l’espace entre la terre et la Lune où la taille apparente des deux planètes semble identique. Pirx se souvenait bien de l’impression qu’il avait ressentie lors de son premier vol. La Terre, bleuâtre, embrumée, avec les contours flous des continents, semblait moins réelle que la Lune, minérale, que son relief rocheux tranchant et sa masse immobile rendaient presque palpable. »
Teaser : « Le cauchemar d’Innsmouth »
Un teaser pour vous donner envie…
(Si vous souhaitez en savoir le moins possible sur le livre, lisez seulement cette partie)
Robert Blake, un écrivain passionné par le domaine de l’étrange, est retrouvé mort assis à son bureau, son visage en partie carbonisé tourné vers la fenêtre. Il a laissé une note très troublante qui fait le récit d’évènements effroyables qui se seraient passés ici, dans la ville de Providence.
De sa fenêtre il contemple au loin la tour noire qui couronne une ancienne église, et qui le fascine littéralement. Il entreprend alors de visiter le curieux bâtiment qui semble abandonné et qui exerce sur les habitants un effet répulsif étonnant. L’effroi apparaît comme étant la seule sensation exprimée par tous ceux que Blake interroge.
La témérité de cet homme le pousse néanmoins à pénétrer dans cette bâtisse en état de délabrement avancé, et il y fait une découverte dont il ne mesure d’abord pas l’importance. L’épouvantable importance.
Dans l’ombre est tapi « Celui qui hantait les ténèbres« , et qui craint toute source de lumière. Mais une porte est ouverte à présent…
« Les lumières se sont éteintes ! Que Dieu me vienne en aide… »
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(La suite, sans révéler l’intrigue ni le dénouement, dévoile certaines parties du récit. Pour lire seulement l’analyse vous pouvez vous rendre directement ici )
L’espace n’est pas fait pour les héros…
L’histoire en profondeur, mais sans tout dévoiler
Robert Blake est à peu près le seul personnage du récit. les autres protagonistes sont à peine évoqués dans le récit fait par le narrateur. Ce narrateur, c’est Robert Blake lui-même car le récit fait ici est celui qu’il a écrit dans son bureau, quelques instants avant de mourrir semble t-il, dans des circonstances difficiles à comprendre.
Il traverse la ville de Providence pour tenter de trouver l’emplacement de cette église noire qu’il aperçoit depuis son bureau. Non sans mal, et sans l’aide d’aucun des passants ni des habitants qu’il interroge, il parvient finalement au pied de ce monument qui semble depuis longtemps abandonné, bien que toujours debout et isolé par une solide grille métallique empêchant les curieux (les fous inconscients ?) de s’approcher de cet indicible édifice.
Il parvient néanmoins à passer les grilles et pénètre dans l’église, sous le regard horrifié de quelques habitants. En explorant notamment ce clocher qui le fascine et qu’il aperçoit depuis sa fenêtre à l’autre bout de la cité, il fait une découverte macabre, et se trouve en présence d’un curieux objet… En le regardant, de curieuses et terrifiantes visions l’assaillent.
« Devant mes yeux tourbillonnaient des soleils et des mondes d’une noirceur encore plus profonde que les ténèbres… Je repensais alors aux antiques légendes de l’Ultime Chaos… Au centre duquel se vautre Azathoth, le dieu aveugle et idiot, seigneur de toutes choses… »
Robert Blake quitte les lieux et rentre chez lui, mais quelque chose a changé, quelque chose se passe dans le clocher de l’église, et quelque chose se manifeste lorsque les lumières de la ville s’éteignent. De nouvelles visions, des rêves effarants submergent l’esprit de l’écrivain qui sombre peu à peu dans un état proche de la folie. il perd pied, ne peut plus faire la part des choses entre ce qui relève de son imagination et ce qui relève de la réalité.
À moins que les deux ne fassent qu’un ? À moins qu’il n’imagine rien, et que tout ceci ne soit que la vérité. Une abominable réalité.
« Ce n’est pas notre planète… Et ces silhouettes encapuchonnées… Ce ne sont pas des êtres humains… C’est impossible… »
La chose qui hantait les ténèbres et les « Autres Dieux »
Analyse dystopique
« Il y a quelque chose ici ! Une chose qui m’examine… Un regard qui me surveille ! »
Étonnant récit que celui-ci, où Lovecraft associe deux grands thèmes qui lui sont chers : la perte de contrôle de l’esprit conscient, et les autres mondes situés au-delà de l’espace et du temps.
Mais bien plus encore qu’une simple nouvelle parmi tant d’autre, « Celui qui hantait les ténèbres » sonne un peu comme un récit autobiographique ! Il s’agit d’un écrivain fasciné par le domaines de l’étrange, installé dans la petite ville de Providence (la ville de H.P. Lovecraft lui-même…). Son imagination l’amène à peupler les anciens bâtiments de créatures effroyables venues de mondes lointains et d’univers parallèles. Celles-ci viennent hanter ses nuits et ses rêves, prennent possession de son esprit, de son corps, et finissent d’une certaine manière par fusionner avec lui… Avec des conséquences macabres dans le récit, mais pas dans la vraie vie puisque la nouvelle fût écrite en 1935 et publiée l’année suivante, alors que Lovecraft est mort… à Providence en 1937…
Diantre ! Serait-ce bel et bien un récit autobiographique !? J’en suis glacé d’effroi.
Toujours est-il qu’on a vraiment parfois l’impression de lire une allégorie de la propre existence de l’auteur, hanté par ses monstres issus des vieilles ruines de Providence, et qui finissent par avoir raison de sa santé mentale comme psychique. Lovecraft est mort en d’un cancer intestinal peu de temps après avoir publié « Celui qui hantait les ténèbres ». Mais je fais peut-être de la « psychologie à 2 euros »… Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, il s’agit d’une entité mortelle tapie dans les entrailles de la ville de Providence, et Lovecraft n’a t-il pas écrit si souvent : « Je suis providence... » ?
Il est intéressant de noter aussi la présence de 3 des « Autres Dieux » de Lovecraft dans le récit. Tout d’abord Nyarlathotep, dont il est dit ici que « Celui qui hantait les ténèbres » en est un « avatar« .
Le « Chaos rampant« , messager des dieux, est aux ordres de son maître Azathoth, le Dieu « idiot » ( parfois traduit par « stupide » ou « fou », mais ici idiot signifie davantage « qui n’a pas de sens », ce qui se comprend mieux quand on sait qu’il « vit au milieu du chaos ultime ou l’espace et le temps n’ont pas de réalité finie…), que Robert Blake aperçoit dans une vision cauchemardesque.
Enfin, le narrateur invoque la protection de Yog-Sothoth, qui est le gardien des passages inter-dimensionnels. Puisse t-il refermer la porte semble t-il dire, mais c’est là une vaine espérance…
Cette nouvelle de Lovecraft fait partie selon moi de celles qui font le plus appel à l’imagination du lecteur, non pas pour se figurer les paysages qui sont assez simples (une ville, une église qui tombe en ruine…) ni même les créatures qui sont soit informes (Azathoth et Yog Sothoth) soit tapies dans l’ombre et donc peu visibles (l’avatar de Nyarlathotep).
Ici, l’imagination crée l’ambiance, les sensations, les sentiments. En cela, adapter Celui qui hantait les ténèbres en roman graphique est une gageure !
Après « L’Appel de Cthulhu« , « Les montagnes de la Folie« , « La couleur tombée du ciel« , et « Dans l’abîme du temps« , cette version de « Celui qui hantait les ténèbres » n’est surement pas la plus facile à dessiner. Gou Tanabe note d’ailleurs en fin d’ouvrage :
« Si l’occasion m‘en est donnée, j’aimerai un jour reprendre entièrement ces deux récits, un peu comme un architecte (?) qui, encore et encore, croque la Sagrada Familia ».
De mon point de vue, le pari est réussi et comme je le disais dans une chronique précédente, Gou Tanabe crée chez le lecteur quelque chose, une perception intermédiaire entre le roman et la bande dessinée. La représentation n’est pas « prête à consommer ». Le lecteur DOIT faire un effort d’imagination, comme si l’image ne pouvait exister qu’à travers l’oeil du lecteur, forcément unique.
Si vous aimez Lovecraft, ou si vous ne le connaissez pas encore (enfin, si cela est possible… ? ), procurez Celui qui hantait les ténèbres de Gou Tanabe. En fait, procurez-vous TOUTE la collection des adaptations de Lovecrfat par ce mangaka ultra talentueux, et que les éditions Ki-Oon ont su mettre en valeur de belle manière.
Faites tout de même bien attention à vous, on ne sort jamais indemne d’un récit lovecraftien, surtout lorsque l’esprit dément de l’auteur est transfiguré par le talent et la folie graphique de Gou Tanabe.
« Cette odeur infecte… La chose… Elle arrive !«
Faites-moi part de vos avis en commentaire, si le coeur vous en dit.
Auteur : Gou Tanabe, d’après l’oeuvre de H.P. Lovecraft
Editeur : Ki-oon
Format : 16×22
ISBN : 979-1032708248
204 pages
Parution : 2021 (octobre)
Pays : Japon
Titre original : The shadow over Innsmouth (1936)
Traduction : Sylvain Chollet
Chroniqueur : Julien Amic
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Auteur : Gou Tanabe, d’après l’oeuvre de H.P. Lovecraft
Editeur : Ki-oon
Format : 16×22
ISBN : 979-1032711149
234 pages
Parution : 2022 (mars)
Pays : Japon
Titre original : The shadow over Innsmouth (1936)
Traduction : Sylvain Chollet
Chroniqueur : Julien Amic
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